Des indicateurs macroéconomiques en trompe-l’œil
Avec un taux de croissance revenu à 1,9 % en 2023 après la récession liée à la pandémie, la République du Congo semble renouer avec la trajectoire ascendante qui, déjà, avait permis une augmentation progressive de l’espérance de vie à 74 ans pour les femmes. Le pétrole, qui représente à lui seul près de 80 % des exportations et 58 % des recettes de l’État, continue de constituer le principal moteur budgétaire. L’État, conscient de la nécessité de diversifier, a multiplié les annonces sur la modernisation de l’agro-industrie et l’essor du numérique afin de réduire la dépendance à la rente pétrolière. Les observateurs internationaux saluent cette volonté de réforme tout en soulignant la fragilité du socle social, miné par un chômage urbain frôlant 22 % et une pauvreté extrême touchant encore 46 % de la population.
Dans ce contexte, la question du genre revêt une dimension stratégique. L’économiste Élodie Mavouba rappelle que « l’égalité femmes-hommes n’est pas un supplément d’âme : c’est le premier accélérateur de la productivité nationale ». Pourtant, la contribution des Congolaises reste sous-estimée car elle s’inscrit majoritairement dans l’informel, secteur qui échappe encore en grande partie aux statistiques officielles.
Urbanisation galopante et vulnérabilité féminine
Près de sept Congolais sur dix vivent aujourd’hui en ville, principalement à Brazzaville et Pointe-Noire. Cette concentration urbaine constitue à la fois une opportunité et un défi pour les femmes. Les marchés de quartier, les ateliers de couture et les petits restaurants, tenus pour l’essentiel par des femmes, dynamisent les économies locales. Mais l’urbanisation rapide s’accompagne d’une flambée des loyers, d’un accès irrégulier à l’eau potable et d’un surcroît de précarité pour les mères chefs de ménage.
Plus préoccupant encore, la promiscuité des quartiers périphériques expose les femmes à une hausse des violences sexistes. L’Observatoire congolais des violences faites aux femmes a recensé, pour la seule année 2023, plus de 4 000 cas déclarés d’agressions conjugales, un chiffre probablement en deçà de la réalité puisqu’il s’agit des seules plaintes formelles. Bien que la loi de 2019 sur la lutte contre les violences basées sur le genre marque un progrès, son application se heurte à la sous-dotation des commissariats spécialisés et à l’insuffisance de dispositifs d’hébergement d’urgence.
Éducation et santé : la clef d’un dividende démographique
Le Congo est entré dans une phase de transition démographique confirmée par un indice de fécondité de 3,9 enfants par femme. Cette évolution offre la possibilité d’un dividende démographique, à condition de capitaliser sur le potentiel féminin. Or les dépenses publiques d’éducation plafonnent encore à 3 % du PIB. Dans le secondaire, le taux de scolarisation des adolescentes stagne autour de 55 %, en partie à cause des grossesses précoces qui, selon le ministère de la Santé, concernent une fille sur cinq avant l’âge de 18 ans.
Sur le volet sanitaire, les progrès observés dans la lutte contre la mortalité maternelle restent fragiles. Les infrastructures se densifient mais demeurent inégalement réparties ; l’hôpital général de Loandjili à Pointe-Noire concentre à lui seul 35 % des accouchements assistés du pays. L’initiative gouvernementale dite « Santé mère-enfant 2025 » prévoit la construction de maisons de la maternité dans les zones forestières, mesure saluée par les ONG locales qui militent pour une participation active des sages-femmes communautaires.
Voix féminines et dynamiques communautaires
La vitalité des associations féminines constitue un levier de transformation sociale. Des coopératives de femmes tékés spécialisées dans la transformation du manioc aux groupes de micro-finance solidaires de la périphérie de Brazzaville, les initiatives se multiplient. « C’est dans l’auto-organisation que nous avons trouvé la réponse à nos besoins », souligne Clarisse Nkouka, coordinatrice du réseau Femme-Développement.
Les pouvoirs publics encouragent cette effervescence via des partenariats public-privé qui facilitent l’accès des entrepreneuses aux marchés publics. La Banque postale du Congo a lancé en 2023 un produit de crédit à taux bonifié destiné aux femmes du secteur agro-alimentaire. Première bénéficiaire de l’enveloppe, la coopérative Ndolo a doublé sa capacité de production de farine de manioc et emploie désormais cinquante travailleuses.
Perspectives de gouvernance inclusive
Le cadre juridique de la parité, renforcé en 2021 par l’obligation d’un quota de 30 % de femmes sur les listes électorales, commence à porter ses fruits : l’Assemblée nationale compte désormais 27 % de députées, contre 14 % en 2012. Cette progression, bien que lente, illustre la reconnaissance institutionnelle du rôle politique des femmes.
La route vers une société pleinement inclusive demeure néanmoins semée d’obstacles. L’efficacité des politiques dépendra de la cohérence entre les investissements budgétaires, la formation des agents publics et la mobilisation citoyenne. La sociologue Mireille Bouity estime que « l’appropriation des réformes par la base est décisive ; l’État fixe le cap, la société civile trace les sentiers ». Ce dialogue, désormais régulier, augure d’une gouvernance partagée où les voix féminines ne sont plus périphériques mais au cœur du développement national.