8e COS C2D : comptes et mécomptes solidaires

Brazzaville, laboratoire d’un partenariat singulier

Dans la touffeur d’un mois de juillet où le fleuve Congo se fait miroir des attentes populaires, la salle de conférence du ministère des Finances a servi d’agora à la huitième réunion du Comité d’orientation et de suivi du Contrat désendettement-développement. Ce dispositif, forgé en 2013 entre Paris et Brazzaville, consiste à convertir une partie de la dette congolaise en investissements publics. L’exercice 2025, coprésidé par le ministre des Finances Christian Yoka et l’ambassadrice de France Claire Bodonyi, s’est voulu à la fois bilan et boussole. Le dialogue, courtois mais dense, a rappelé que les chiffres comptables ne sont jamais neutres : ils traduisent des choix de société, voire une vision de la citoyenneté féminine et du mieux-vivre urbain.

Un dispositif financier à la croisée des intérêts

Doté de 229 millions d’euros, soit 150,2 milliards de FCFA, le C2D congolais articule trois axes – infrastructures, capital humain, durabilité – qui recouvrent treize projets et deux fonds d’études. Trois chantiers arrivent déjà à maturité : la première phase du drainage des eaux pluviales de Brazzaville, la formation de travailleurs sociaux et le filet de protection Lisungi. La technicité de ces programmes cache une réalité plus large : en transformant la dette en leviers budgétaires, l’État congolais consolide sa marge de manœuvre sans alourdir le fardeau financier des générations futures, tandis que la France renforce sa diplomatie de développement. Au-delà des bénéfices mutuels, le mécanisme reste tributaire d’une planification serrée et d’une ingénierie sociale qui doit tenir compte des dynamiques de genre.

Des avancées tangibles, des chiffres qui parlent

Les tableaux présentés à huis clos révèlent que 62 % des engagements financiers sont exécutés, un taux salué par les deux parties. Les premiers impacts sont visibles : 28 kilomètres de canalisation ont réduit de 40 % les inondations saisonnières dans trois arrondissements, et plus de 1 200 travailleurs sociaux nouvellement certifiés interviennent désormais auprès des populations vulnérables, dont une majorité de femmes chefs de ménage. Selon le ministère des Affaires sociales, le dispositif Lisungi a versé une aide monétaire conditionnelle à 50 000 personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté, rappelant le rôle de la politique sociale dans la cohésion nationale. Ces indicateurs, encore partiels, montrent néanmoins que la traduction budgétaire du C2D touche le quotidien des foyers.

Telema et Lisungi : du ciblage à l’empowerment

Derrière les colonnes Excel, des récits de résilience prennent forme. À Makélékélé, Marie-Josée, 39 ans, raconte avoir transformé le microfinancement Telema en atelier de couture : « Mon revenu a doublé, je peux scolariser mes filles », confie-t-elle. Telema, qui signifie « debout » en lingala, soutient les activités génératrices de revenus par de petites dotations couplées à un accompagnement en gestion. Le projet complète le filet Lisungi, davantage centré sur l’aide directe. Ce tandem illustre une gradation stratégique : l’assistance d’urgence laisse place à la capacitation économique. Pour les sociologues du genre, il s’agit d’une innovation soft : plutôt qu’un programme spécifiquement féminin, c’est l’architecture familiale congolaise qui est saisie comme porte d’entrée de l’autonomisation.

Quels amortisseurs face à l’inflation des coûts ?

Si le COS a souligné la « satisfaction globale », l’ambassadrice Claire Bodonyi n’a pas éludé les surcoûts : la flambée des prix du BTP compromet certaines enveloppes initialement calibrées en 2019. Les retards logistiques liés à la pandémie puis aux tensions géopolitiques mondiales pèsent sur les devis, notamment pour la Corniche de Brazzaville et la modernisation de l’enseignement supérieur. Le ministre des Finances a appelé à « une ingénierie imaginative » afin de préserver le volet social des programmes, anticipant de possibles réallocations budgétaires. Cette mise en garde rappelle la vulnérabilité structurelle des économies africaines face aux aléas externes, mais elle souligne aussi la volonté gouvernementale de sanctuariser les crédits dédiés aux populations les plus fragiles.

Vers une gouvernance plus inclusive du suivi

Parmi les recommandations phares figure le renforcement des cellules de suivi au sein des ministères sectoriels. La présence accrue d’expertes congolaises est perçue comme un gage de redevabilité : plusieurs ONG, dont l’Observatoire congolais des violences faites aux femmes, plaident pour que les comités techniques intègrent une grille d’évaluation sensible au genre. Il s’agit, selon la sociologue Natacha N’Dinga, « d’inscrire l’égalité femmes-hommes au cœur même du reporting budgétaire ». L’enjeu dépasse la seule représentativité : il vise la production de données sexuées permettant de mesurer finement l’impact des programmes sur l’autonomie économique féminine, la santé maternelle et l’accès à l’enseignement supérieur.

La diplomatie du développement en filigrane

Le C2D illustre une diplomatie apaisée où l’allègement de la dette sert de catalyseur aux Objectifs de développement durable. Les entretiens en marge du COS ont mis en avant l’idée d’un « dialogue élargi » avec d’autres bailleurs, Banque mondiale ou Union européenne, pour cofinancer les futures phases. Cette ouverture montre que le Congo entend diversifier ses partenariats tout en consolidant celui, historique, avec la France. Dans une région marquée par la volatilité des cours pétroliers, la stabilité de tels engagements se révèle précieuse. Elle participe, à terme, à la sécurisation de politiques sociales susceptibles de renforcer la participation citoyenne, notamment celle des femmes, actrices majeures de l’économie informelle.

Un horizon 2027 entre sobriété et ambition

En clôture, le président du COS a esquissé une trajectoire : d’ici à 2027, six projets devraient s’achever, et le comité envisage déjà une nouvelle fenêtre financière. La prudence domine, mais l’ambition ne faiblit pas : prolonger Telema, finaliser le renouveau agricole via le PARSA, accélérer la digitalisation de l’université dans un pays où 52 % des étudiants sont des étudiantes. Le défi sera de maintenir la cohérence d’un portefeuille soumis à la pression démographique et climatique. Sur ce point, les participantes issues des associations féminines ont insisté : « Chaque franc investi doit libérer une énergie sociale ». Reste donc à conjuguer rigueur budgétaire et imagination politique pour que le C2D confirme sa promesse initiale : convertir la dette en progrès partagé.