Un partenariat sportif aux accents de santé publique
En dévoilant son alliance avec le groupe Danone, la Confédération africaine de football (CAF) inscrit résolument les éditions 2024 et 2025 de la Coupe d’Afrique des nations dans une perspective de santé publique. Le protocole d’accord prévoit la distribution de produits laitiers à plus de dix mille volontaires, cinq mille journalistes, ainsi qu’aux officiels et athlètes. L’opération, chiffrée à plusieurs millions d’unités, se veut une réponse pragmatique aux carences en calcium et en protéines repérées par de nombreuses études de terrain, particulièrement chez les adolescentes vivant en milieu urbain précaire.
Le football, laboratoire d’une diplomatie nutritionnelle
Depuis une décennie, la CAF s’emploie à transformer ses compétitions en vitrines de politiques sociales. Après les campagnes dédiées au dépistage du VIH ou à la lutte contre le paludisme, l’institution panafricaine joue aujourd’hui la carte de la diplomatie nutritionnelle. Selon le président Patrice Motsepe, « l’imaginaire fédérateur du football offre un canal unique pour ancrer des messages de prévention auprès des publics féminins souvent sous-ciblés par les dispositifs classiques ». La logique est limpide : capitaliser sur la caisse de résonance médiatique du sport afin de modifier les comportements alimentaires, sans heurter les équilibres politiques nationaux.
L’éducation nutritionnelle au cœur des stades et des écoles
Au-delà de la distribution de yaourts, le projet inclut un volet pédagogique articulé autour du Championnat scolaire africain. Des kits éducatifs, élaborés par des diététiciens et sociologues de la santé, seront déployés dans plusieurs centaines d’établissements primaires et secondaires. Les modules insistent sur l’importance d’une alimentation diversifiée, l’hydratation et l’activité physique régulière. Le choix de cibler les élèves, et notamment les filles, répond à un constat récurrent : en Afrique subsaharienne, la transition nutritionnelle s’accompagne d’une hausse simultanée de la sous-nutrition et de l’obésité, phénomène accentué par les stéréotypes de genre attribuant la préparation des repas aux femmes sans pour autant leur garantir l’accès aux nutriments de qualité.
Genre et nutrition : vers une démocratisation des pratiques saines
Les organisations de défense des droits des femmes saluent la place accordée aux jeunes filles dans l’architecture du programme. À Brazzaville, la sociologue Élise Ngolou estime que « privilégier l’adolescente comme actrice et non simple bénéficiaire de la chaîne alimentaire encourage son empowerment nutritionnel ». Les animateurs seront formés à déconstruire certaines normes culturelles, par exemple l’idée selon laquelle la part la plus protéinée du repas reviendrait traditionnellement aux garçons. Ce recentrage s’inscrit dans les objectifs de développement durable, notamment la cible 2.2 visant à mettre fin à toutes les formes de malnutrition d’ici 2030.
Un levier économique pour les laiteries locales
Sur le plan industriel, l’accord ouvre des perspectives aux unités de transformation laitière implantées au Bénin, en Côte d’Ivoire ou encore au Sénégal. Danone s’appuie sur son réseau de sous-traitants pour garantir une chaîne d’approvisionnement courte et conforme aux normes sanitaires de la CAF. Cette stratégie, qui conjugue responsabilité sociale et recherche de compétitivité, devrait stimuler l’emploi féminin dans les secteurs du conditionnement et de la distribution, traditionnellement pourvoyeurs d’emplois informels pour les mères de famille.
Mesurer l’impact : entre indicateurs et prudence analytique
Si les intentions affichées paraissent louables, les spécialistes de la santé communautaire rappellent que l’efficacité d’une telle opération dépendra d’indicateurs rigoureux. Taux de prévalence de l’anémie chez les adolescentes, évolution de l’indice de masse corporelle ou encore perception des produits laitiers au sein des ménages : autant de variables qu’il conviendra de documenter avant, pendant et après les compétitions. L’universitaire togolaise Adjoa Lawson prévient qu’« une initiative ponctuelle, sans inscription dans les politiques nationales de protection sociale, risque de se dissoudre dans le brouhaha médiatique ».
Vers un héritage sociétal durable
À l’heure où le continent se projette vers les CAN 2024 et 2025, le tandem CAF-Danone propose une feuille de route qui dépasse le strict cadre du terrain vert. En articulant nutrition, éducation et inclusion des femmes, l’initiative pourrait contribuer à inscrire le football dans une dynamique de changement social pérenne. Encore faudra-t-il que les acteurs nationaux, pouvoirs publics compris, accompagnent la démarche par des programmes de suivi adaptés et un financement à long terme. Autrement dit, faire du yaourt un symbole de cohésion citoyenne plutôt qu’un simple encas consommé sous les projecteurs.