Diplomatie congolaise et soft power
La candidature d’Edouard-Firmin Matoko au fauteuil de directeur général de l’Unesco résonne comme un test grandeur nature du soft power congolais.
À Brazzaville, le gouvernement souligne que l’enjeu dépasse la compétition personnelle: il s’agit de projeter la culture et la science nationales dans l’arène multilatérale tout en consolidant un capital symbolique précieux au sein de la Francophonie et du continent.
Le Premier ministre Anatole Collinet Makosso l’a rappelé lors d’un entretien récent: «Nous ne cherchons pas une couronne, nous voulons participer à la construction d’un monde où chaque identité se reconnaît».
La candidature, fruit d’un consensus intérieur, bénéficie aussi du soutien de plusieurs organisations de jeunesse qui y voient un symbole de méritocratie nationale.
Le rôle discret de l’Union africaine
Traditionnellement, les États membres tentent d’accorder leurs voix autour d’un seul candidat africain afin d’optimiser les chances du continent.
Cependant, lors du dernier sommet, l’Union africaine n’a pas tranché, ouvrant la voie à une concurrence inédite entre Brazzaville et Le Caire.
«Ce n’est pas à Addis-Abeba d’imposer un vote anticipé», a martelé M. Makosso en soulignant qu’aucun texte ne codifie une telle obligation.
Pour la politologue Charlotte Mbaya, cette posture reflète une volonté de laisser jouer les affinités régionales et de tester les logiques de solidarité réelle plutôt que déclarative.
Entre gratitude diplomatique et intérêts nationaux
Le soutien affiché de Paris au candidat égyptien a surpris certains observateurs, compte tenu des liens historiques unissant la France et le Congo.
À Brazzaville, la réaction officielle est restée mesurée, le Premier ministre invoquant une possible «ingratitude» tout en réaffirmant la confiance dans la relation bilatérale.
Selon l’économiste Désiré Ngoma, cette dialectique vise à rappeler qu’une amitié d’État ne dispense jamais de défendre ses propres chances dans les enceintes internationales.
Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Claude Gakosso, assure pour sa part que «la meilleure réponse reste la qualité du dossier congolais», mettant en avant l’expérience de M. Matoko, actuel sous-directeur général de l’Unesco.
Voix féminines et enjeux de représentation
Si la compétition paraît essentiellement masculine, des organisations de femmes rappellent que l’égalité de genre est un pilier statutaire de l’Unesco.
L’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes considère qu’une victoire congolaise offrirait une tribune idéale pour promouvoir les droits des femmes dans les programmes éducatifs et scientifiques mondiaux.
Pour Mireille Nguesso, sociologue à l’Université Marien-Ngouabi, «la présence d’un dirigeant africain sensible aux dynamiques de genre peut accélérer l’intégration des perspectives féminines, notamment sur l’éducation numérique des jeunes filles».
La société civile suggère déjà d’associer, dès la campagne, des expertes congolaises en patrimoine et en sciences afin de conférer à la candidature une coloration inclusive, conforme aux standards contemporains de gouvernance culturelle.
Perspectives pour la société civile congolaise
Au-delà du résultat du vote prévu pour novembre, la mobilisation actuelle constitue une opportunité pédagogique pour familiariser le public congolais avec les arcanes d’une institution souvent perçue comme lointaine.
Des ateliers, organisés par divers ministères et associations, décryptent déjà les mécanismes de la diplomatie culturelle et soulignent la participation possible des jeunes, des artistes et des enseignants aux réseaux de l’Unesco.
«Quoi qu’il advienne, notre pays sortira grandi de cet exercice de visibilité», affirme la juriste Arlette Mapata, qui milite pour qu’un club Unesco féminin voie le jour dans chaque département.
Cette dynamique, concluent les analystes, rappelle que la conquête d’un poste international peut servir de levier interne pour approfondir les politiques d’éducation, de culture et d’égalité, et renforcer le contrat social congolais.
Enjeux économiques d’une victoire
Le poste de directeur général n’offre pas seulement un prestige symbolique ; il permet aussi de peser sur l’allocation de projets, notamment dans les domaines de l’alphabétisation et des industries créatives, secteurs identifiés comme prioritaires dans le Plan national de développement 2022-2026.
Une source au ministère du Plan estime qu’une direction congolaise de l’Unesco pourrait accroître de 15 % l’accès aux fonds extrabudgétaires destinés aux programmes de formation technique et professionnelle dans la sous-région.
Les PME dirigées par des femmes, particulièrement actives dans la valorisation des sites patrimoniaux comme les Palabres de Luozi ou l’ancienne ligne Congo-Océan, espèrent bénéficier d’effets d’entraînement en matière de tourisme durable.
Calendrier et scénarios de vote
Le processus électoral débutera en octobre au sein du Conseil exécutif, composé de 58 États, avant un éventuel second tour puis une proclamation officielle en novembre à la Conférence générale.
Lors du premier tour, un candidat doit obtenir au moins 30 voix pour être élu ; faute de majorité, les scrutins se succèdent jusqu’à ce qu’il ne reste que deux prétendants.
Les diplomates congolais misent sur le soutien du bloc d’Afrique centrale, de plusieurs États d’Amérique latine et de certaines nations francophones asiatiques, tout en maintenant un dialogue calme avec les partisans du candidat égyptien pour éviter un affrontement public.
S’il échoue, la diplomatie congolaise entend capitaliser sur les alliances tissées, défi posé par la majorité des observateurs internationaux qui y voient déjà un repositionnement stratégique du pays dans les enceintes culturelles mondiales.