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Un chantier national crucial

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme s’impose désormais comme un enjeu de souveraineté aussi déterminant que la sécurité physique des frontières. Au Congo-Brazzaville, la réflexion engagée par l’expert Isaac Gervais Onghabat s’inscrit dans cette nécessité stratégique.

Son article, récemment publié dans une revue spécialisée, préconise l’élaboration d’une cartographie nationale des risques capable d’orienter les décisions publiques et privées. L’objectif déclaré est de consolider les acquis, d’anticiper les menaces et de maintenir le pays hors de la liste grise du GAFI.

Alignement sur les standards du GAFI

Selon lui, la méthodologie doit s’aligner strictement sur les quarante recommandations du Groupe d’action financière, en particulier sur l’approche fondée sur les risques. Ce principe invite les États à calibrer leurs contrôles en fonction de la gravité et de la probabilité des infractions financières.

La proposition d’Onghabat comporte la création d’un comité national de maîtrise des risques où siègeraient autorités de surveillance, parquet financier, régulateurs sectoriels et représentants du secteur privé. Cette instance centraliserait la collecte de données, rationaliserait l’évaluation et assurerait la mise à jour annuelle de la cartographie.

Vers une cartographie des risques

Une telle démarche dépasserait le simple exercice bureaucratique. Elle permettrait de classer, par secteur, les risques inhérents et de non-conformité, puis de définir des plans d’atténuation proportionnés. Les banques, compagnies d’assurance et agents immobiliers pourraient ainsi réviser leurs systèmes internes sans alourdir déraisonnablement leurs coûts.

La loi congolaise numéro 9-22 du 11 mars 2022 fournit déjà un socle juridique robuste. Toutefois, souligne Onghabat, le texte gagnerait à être complété par un instrument opérationnel lisible par tous les acteurs. La cartographie jouerait ce rôle de boussole, renouvelant la dynamique de prévention.

Cibler les secteurs à haute vulnérabilité

L’approche sectorielle s’avère essentielle. Le marché des hydrocarbures, pivot de l’économie nationale, présente des chaînes de paiement complexes. Les zones informelles exposent, elles, à des flux de cash difficiles à tracer. Identifier ces poches de vulnérabilité permettrait d’attribuer les ressources de contrôle là où elles sont prioritaires.

Le volet financier n’est pas le seul concerné. Les organisations non gouvernementales évoluant dans des zones frontalières peuvent involontairement devenir des vecteurs de financement illicite. Une coopération renforcée avec les agences humanitaires est donc préconisée afin de diffuser des procédures de vigilance adaptées aux réalités du terrain.

Interrogée, la magistrate Carine Loubaki rappelle que « la meilleure norme reste lettre morte sans diagnostic clair ». Pour elle, la cartographie garantirait un langage commun entre justice, gendarmerie financière et cellules de renseignement, prévenant les doublons et les angles morts dans les enquêtes.

Du côté des institutions bancaires, l’Association professionnelle des établissements de crédit salue déjà l’initiative. Son secrétaire général affirme que la visibilité accrue sur les menaces favorisera la digitalisation des contrôles et la formation ciblée du personnel, deux leviers indispensables pour accompagner l’expansion rapide des services financiers mobiles.

Sécuriser l’économie et les droits sociaux

La question du financement de la prolifération des armes à destruction massive, longtemps perçue comme lointaine, figure désormais explicitement dans le périmètre des risques. Le contrôle des marchandises à double usage et la surveillance des sociétés écrans importatrices d’équipements sensibles sont évoqués comme priorités opérationnelles par plusieurs spécialistes.

L’association que nous représentons observe avec intérêt cette démarche, car la criminalité financière touche indirectement les femmes. Le détournement de fonds publics réduit les budgets sociaux, tandis que les réseaux criminels s’appuient souvent sur la vulnérabilité économique féminine pour blanchir de petites sommes via le commerce informel.

Comprendre les flux illicites, c’est donc aussi protéger les programmes de santé maternelle, les campagnes d’alphabétisation et les initiatives d’autonomisation qui reposent sur des financements publics. Une cartographie solide renforcera la transparence budgétaire, condition essentielle pour que les politiques d’égalité bénéficient réellement aux ménages.

Mobiliser les institutions et la société

Le calendrier proposé par Onghabat table sur un diagnostic initial en six mois, suivi d’un plan triennal de renforcement. La formation des enquêteurs, la modernisation des registres du commerce et l’adhésion des entreprises publiques figurent au rang des chantiers déjà identifiés comme prioritaires.

À Brazzaville, certains observateurs rappellent néanmoins la nécessité d’une communication pédagogique. Vulgariser les grands principes auprès des collectivités locales, des chambres consulaires et des médias garantirait l’appropriation du dispositif par l’ensemble de la société, condition pour que le mécanisme survive aux alternances administratives.

Un pas vers une cohésion renforcée

En définitive, la future cartographie nationale des risques s’annonce comme un pivot de la gouvernance financière congolaise. Si la coordination interinstitutionnelle et le partage de données sont au rendez-vous, elle pourrait offrir un rempart durable contre les circuits opaques qui fragilisent l’économie et la cohésion sociale.

La vigilance financière n’est pas une fin en soi ; elle constitue un moyen d’assurer que les ressources nationales profitent effectivement au développement humain. Pour les femmes congolaises, premières victimes des crises économiques, chaque avancée contre le blanchiment représente un pas supplémentaire vers une société plus juste.