Regards croisés sur une décennie
Le 15 août 2025, la diplomatie congolaise a soufflé ses dix bougies sous la houlette de Jean-Claude Gakosso, nommé en 2015 aux Affaires étrangères. L’entretien qu’il a accordé ravive le débat sur la place du Congo dans un monde polarisé, entre rivalités stratégiques et exigences de souveraineté pour les nations africaines.
Son bilan, dressé sans triomphalisme, s’appuie sur deux impératifs récurrents : élargir les partenariats économiques et maintenir la paix régionale. Cette approche dite de « dialogue permanent » tente d’éviter l’écueil des alignements exclusifs tout en capitalisant sur les complémentarités qu’offrent Chine, Russie, Türkiye, Qatar, France et États-Unis aux niveaux multiformes
Relations bilatérales élargies
Au cours de la décennie, Brazzaville a consolidé un axe Sud-Sud marqué par la signature d’accords énergétiques avec Pékin et d’un partenariat minier avec Brasilia. Dans le même temps, les visites croisées avec Paris ont préservé la coopérative francophone, tandis que Washington salue « une voix constructive » au Conseil.
Pour Jean-Claude Gakosso, « nous n’avons de contentieux avec aucun pays ». Cette neutralité revendiquée sert la stratégie congolaise d’attractivité des investisseurs, illustrée par l’accord pétrochimique signé à Doha en 2024 et par la récente ligne de crédit turque dédiée aux infrastructures sociales, notamment scolaires et hospitalières dans les zones rurales
La médiation congolaise en Libye
La crise libyenne demeure le dossier phare. Mandaté par l’Union africaine, le président Denis Sassou-Nguesso a confié au chef de sa diplomatie la tâche d’orchestrer des pourparlers inclusifs. Résultat : de Benghazi à Tripoli, les convois humanitaires circulent désormais sans escorte armée sur la route côtière très empruntée par civils.
Selon l’universitaire tunisien Amel Chaouch, « le Congo a prouvé qu’un État africain, loin des projecteurs, peut conduire une médiation pragmatique ». Les observateurs du Centre pour le dialogue humanitaire soulignent une diminution de 60 % des incidents armés dans le croissant pétrolier depuis 2022 selon leurs données publiées en avril dernier
Le cap multilatéral et la Zlecaf
Au sein des enceintes multilatérales, Brazzaville insiste sur la réforme du Conseil de sécurité et la représentation accrue de l’Afrique. Jean-Claude Gakosso rappelle que « préserver le multilatéralisme, c’est empêcher la loi du plus fort ». Le Congo soutient l’initiative A3 qui fédère les délégations africaines à l’ONU depuis 2019 déjà.
Sur le plan économique, la Zone de libre-échange continentale africaine est perçue comme un antidote à la fragmentation. Le Congo, l’un des premiers ratificataires, milite pour des corridors logistiques fluviaux afin d’ouvrir le marché intérieur de 6 millions d’habitants aux manufacturiers voisins et aux PME féminines exportatrices de textiles.
Les expertes du Programme des Nations unies pour le développement estiment que 35 000 emplois supplémentaires pourraient découler d’un tel désenclavement. À Brazzaville, la plate-forme Femme-Créatrice plaide pour que les dispositifs douaniers de la Zlecaf prévoient un guichet dédié aux coopératives agricoles gérées par des veuves déplacées interne récemment
Moderniser le corps diplomatique
Au-delà des grands équilibres, la diplomatie repose sur ses agents. Les décrets présidentiels de janvier 2025 revoient à la hausse les indemnités, introduisent l’assurance-santé globale et systématisent la formation continue. Le ministre salue « l’abnégation de fonctionnaires qui représentent le pays dans des contextes parfois très exigeants » et instables ailleurs.
Le Quai d’Ornano, siège rénové grâce à un partenariat public-privé, accueillera en 2026 l’Institut des carrières diplomatiques, dont 40 % des places seront réservées à des candidates issues des universités régionales. Il s’agit, souligne la sociologue Justine Mokoko, d’« un levier pour féminiser la présence extérieure » du Congo dans les ambassades
Entre humilité et continuité
À titre personnel, Jean-Claude Gakosso revendique « de l’humilité ». Vingt-deux ans au gouvernement lui confèrent cependant une mémoire institutionnelle recherchée. Les analystes de l’Institut congolais des relations internationales estiment que cette continuité facilite la cohérence des positions, notamment sur la sécurité du golfe de Guinée et la culture francophone partagée.
La présidence a confirmé, le 30 juillet, le maintien de l’équipe diplomatique actuelle jusqu’aux prochaines législatives. Pour le chercheur franco-congolais Alain Nguiamba, « la stabilité reste un capital à ne pas dilapider au moment où la sous-région fait face à des transitions complexes » et des crises sanitaires potentiellement déstructurantes pour communautés
Perspectives à l’horizon 2030
D’ici 2030, la diplomatie congolaise mise sur l’économie verte. Un mémorandum signé avec le Gabon prévoit la gestion concertée des forêts du bassin du Congo, poumons de la planète. L’objectif est d’attirer des financements climat pouvant hisser le pays dans les dix premiers fournisseurs d’actifs carbones durables mondiaux.
Le même agenda comprend un volet numérique : création d’une plateforme consulaire en ligne pour simplifier les démarches des Congolais de l’étranger, aujourd’hui estimés à 600 000. Le service permettra également un recensement plus précis des talents féminins de la diaspora et leur mise en réseau professionnelle ouverte aux ONG
Lecture sociétale et genre
Si le sujet paraît éloigné des violences faites aux femmes, la diplomatie crée pourtant des cadres normatifs influençant la condition féminine. En promouvant la Zlecaf et l’institut diplomatique paritaire, Jean-Claude Gakosso contribue indirectement à l’autonomisation économique et à la représentation internationale des femmes congolaises selon l’ONCF notre organisation experte