Statistiques récentes sur la violence de genre
Au cours des douze derniers mois, les services spécialisés de la gendarmerie ont enregistré 4 672 cas de violences domestiques sur l’ensemble du territoire, soit une hausse de 8 % par rapport à 2022, indique la cellule statistique du ministère de la Promotion de la Femme.
Ces chiffres officiels restent cependant inférieurs aux estimations des ONG, lesquelles avancent, enquêtes de terrain à l’appui, que près de 35 % des Congolaises âgées de 15 à 49 ans ont subi au moins une forme d’agression physique ou sexuelle.
La province du Pool, marquée par les déplacements internes de population, enregistre le taux de prévalence le plus élevé, tandis que Brazzaville concentre davantage de violences psychologiques, selon l’étude conjointe ONUSIDA-UNFPA publiée en février.
Enjeux socio-culturels et économiques clés
Pour la sociologue Thérèse Moussodia, « l’insécurité économique exacerbe la vulnérabilité féminine ». Elle rappelle que 64 % des femmes actives exercent dans l’économie informelle, sans filet de sécurité sociale, situation qui renforce la dépendance vis-à-vis du conjoint ou de la famille élargie.
Les normes coutumières, en particulier la pratique du mariage précoce dans certaines zones rurales, limitent l’accès des adolescentes à l’éducation secondaire, frein identifié par le rapport 2023 de l’UNESCO comme un déterminant majeur de la persistance des violences sexuelles.
À cela s’ajoute la pression exercée par la crise climatique sur les ressources. L’intensification des déplacements vers les centres urbains provoque une cohabitation dense et souvent précaire, augmentant mécaniquement le risque de violences intrafamiliales, d’après l’Observatoire congolais du changement climatique.
Dispositif légal et politiques publiques
Depuis la loi 30-2022 relative à la protection de la femme contre les violences, la prise en charge médico-légale est gratuite sous condition de dépôt de plainte. Le parquet de Brazzaville recense 1 127 bénéficiaires en un an, un chiffre jugé encourageant par les autorités.
Le ministère de la Justice a également inauguré trois chambres criminelles spécialisées, dotées de psychologues, pour accélérer les procédures. Selon la procureure adjointe Jeanne-Lydie Mabiala, le délai moyen d’instruction des dossiers de violences conjugales est passé de 14 mois à 9 mois.
La coopération internationale soutient cet effort. L’Union européenne finance depuis avril un programme de formation des officiers de police judiciaire à l’écoute active; le PNUD fournit du matériel d’investigation numérique pour documenter les preuves, étape cruciale pour réduire les classements sans suite.
Le budget alloué à la Direction générale de la promotion de la femme a été porté à 6,3 milliards de francs CFA dans la loi de finances 2024, ce qui représente une progression de 18 %. Une part substantielle sera dédiée à la mise en réseau des centres d’accueil.
Dynamique des acteurs communautaires
Sur le terrain, les maisons d’écoute gérées par les associations féminines enregistrent un afflux soutenu. À Makélékélé, le centre Mwassi Moninga a accompagné 342 survivantes au premier semestre, en offrant soutien psychologique, médiation et orientation juridique, précise sa coordinatrice, Philomène Ngakala.
Les leaders religieux jouent aussi un rôle croissant dans la prévention. L’Église évangélique du Congo a intégré des modules sur l’égalité de genre dans ses sessions de catéchèse, mesure saluée par le Conseil œcuménique des Églises pour son impact sur les normes sociales.
Dans les quartiers périphériques, des groupes d’hommes engagés, tels que la brigade Munzola, organisent des cercles de parole mensuels. « Nous travaillons sur la gestion de la colère et la paternité positive », explique leur animateur, l’éducateur social Rodrigue Tchissambou.
Histoires de survie et d’empowerment
Céline, 29 ans, rescapée d’un mariage forcé, a trouvé refuge dans l’entrepreneuriat. Elle confectionne des sacs en raphia vendus sur les marchés de la capitale. « Chaque commande est un pas vers mon autonomie », confie-t-elle, sourire timide mais regard déterminé.
À Dolisie, l’ancienne policière Clarisse Ngamboulou anime désormais des ateliers d’autodéfense féminine. Ses sessions hebdomadaires rassemblent mères de famille, étudiantes et commerçantes, créant un espace de solidarité où la parole se libère autant que les gestes de protection.
Ces histoires, relayées par les radios communautaires, servent de modèles à de nombreuses jeunes femmes. Les psychologues notent que la visibilité de parcours positifs favorise la recherche d’aide et contribue à briser le sentiment d’isolement qui entoure souvent les violences.
Priorités futures et stratégies nationales
Les spécialistes s’accordent sur l’importance de renforcer la collecte de données désagrégées par sexe et âge. Une meilleure cartographie permettra d’orienter les ressources vers les zones les plus touchées et d’évaluer l’efficacité des politiques publiques sur le long terme.
La priorité, selon l’économiste Marcel Souanga, reste la création d’emplois décents pour les femmes. Il propose un fonds de garantie étatique facilitant l’accès au crédit des coopératives féminines, dispositif susceptible de réduire la dépendance économique, racine structurelle des violences conjugales.
Le gouvernement, appuyé par ses partenaires, prépare enfin une campagne nationale de communication axée sur les masculinités positives. Annoncée pour novembre, elle combinera spots télévisés, mobilisations dans les écoles et plateformes numériques afin de toucher toute la population, y compris la diaspora.