Un souverain à l’identité encore débattue
Plus de mille ans après la fondation présumée du royaume de Kongo, l’identité précise de son premier roi, Nimi Lukeni, demeure une énigme. Historiens et anthropologues hésitent entre un ancêtre muyombe de Vungu et un prince kuni du Ndingi.
Pistes linguistiques : le faisceau kuni
La démonstration kuni repose d’abord sur le verbe tsunda, « commencer » en langue kuni, dont dériverait Nsundi, province stratégique du futur royaume. L’historien Christian Roland Mbinda Nzaou souligne que le fleuve Niari s’appelait initialement Nsundi Niadi, transcription altérée par des missionnaires sensibles à la phonétique bembé.
Cette trace toponymique n’est pas isolée. Le torrent Lukenini, près de Lubetsi, rappelle lui aussi « Lukeni lu Nimi ». Selon le pasteur Joseph Titi, la route nationale 3 suivrait le corridor emprunté par le roi lors de sa retraite tactique vers l’ouest.
Noms de lieu, échos du Niari
Le prénom même de Nimi oriente vers le Niari. Chez les Kuni, les jumeaux masculins reçoivent des noms complémentaires : Ngo pour l’aîné, incarnation de la puissance, et Nimi pour le cadet, issu de nima, « ce qui suit ». Le découpage symbolise un ordre social hiérarchisé.
L’onomastique familiale renforce l’argument. À sa fille préférée, le souverain attribua les anthroponymes Nzinga, Kuni et Lawu. Nzinga renvoie, chez les habitants du sud Niari, au cou autour duquel s’enroule le cordon ombilical. Cette précision lexicale suggère un ancrage géographique précis.
Symbolique des prénoms jumeaux
La distinction linguistique dinga, tsingu et musinga, pour dire cou ou cordon selon les variantes kuni, nourrit la thèse d’un foyer culturel très localisé. Elle montre aussi l’importance accordée aux jumeaux, catégorie souvent associée à la souveraineté et à la fertilité dans l’aire kongo.
Les chercheurs y voient un trait partagé avec plusieurs sociétés sémitiques, où Esaü et Jacob se différencient par pilosité, statut et tempérament. L’ethnologue Cléophas Kondo estime que « la figure du jumeau cadet, prudent et stratège, résonne étonnamment avec l’ascension diplomatique de Nimi Lukeni ».
Entre récit local et influences bibliques
Ce rapprochement, encore spéculatif, ouvre néanmoins la voie à une comparaison interculturelle sur la place accordée à la gémellité. Il interroge aussi la construction du pouvoir royal, souvent présentée comme une synthèse entre bravoure martiale et finesse tactique.
Ces indices n’épuisent pas le dossier. La tradition yombé du Vungu revendique également le souverain, arguant d’un corpus oral où Lukeni apparaît comme un chef muyombe. Les deux narrations convergent toutefois sur l’étape cruciale de Mbanza Kongo, capitale édifiée après la traversée du grand fleuve Congo majestueux.
Kuni ou Yombé : lecture comparée des indices
Le problème se complique avec l’irruption, au XVIe siècle, des Yaka venus de l’Est. Chroniques européennes les appellent Yaga. Or Nimi Lukeni est supposé régner cinq siècles plus tôt, ce qui rend improbable une défaite face à ces guerriers tardifs.
L’historien A.C. Ndinga Mbo rappelle qu’au moins quatre dynasties se succédèrent avant le baptême de Nzinga a Nkuwu en 1491. Si l’on accorde neuf règnes d’environ trente ans, la chronologie situe la fondation de Kongo dia Ntotila vers le IXe ou le Xe siècle.
Où reposerait le fondateur ?
Quant à la sépulture de Nimi Lukeni, les sources restent muettes. La logique interculturelle veut qu’un monarque reçoive la terre même qu’il a unifiée. Il est donc plausible qu’il repose au cœur de l’ancienne capitale ou dans un sanctuaire périphérique aujourd’hui enfoui.
Elle devait se trouver à l’intérieur d’un empire qui, à son apogée, englobait l’Angola, les deux Congo et le sud gabonais. Nulle part ailleurs, la géographie sacrée du Kongo ne permettait d’assurer l’entretien cultuel régulier exigé par une royauté matrilinéaire.
L’enjeu scientifique d’une mémoire partagée
Pour dépasser les récits militants, plusieurs universités congolaises mènent aujourd’hui des fouilles exploratoires des vallées de Vungu et Ndingi. Elles croisent archéologie, prospection géophysique et anthropologie linguistique, méthode saluée par le professeur José Makouta Mapatano comme « l’unique voie vers un consensus apaisé ».
Le débat possède également une dimension civique. Identifier l’origine du roi revient à reconnaître la pluralité des peuples qui composent la nation contemporaine. En ce sens, chaque avancée scientifique nourrit une pédagogie de la cohabitation et consolide la paix chère aux autorités nationales.
Les femmes, souvent gardiennes des récits familiaux, occupent un rôle central dans cette transmission. Le Collectif Mâ Nsangu, animé par des historiennes de Brazzaville, collecte depuis 2020 des chants et berceuses mentionnant Lukeni. Ces archives orales complètent les inscriptions lapidaires trop rares pour éclairer la mémoire.
Au terme de ce faisceau d’indices, l’hypothèse d’un Nimi Lukeni kuni reste la plus dense, sans exclure des syncrétismes. Seule une coopération scientifique transfrontalière permettra de trancher. En attendant, ce débat démontre l’urgence de sauvegarder nos patrimoines immatériels, matrice d’un vivre-ensemble durable et inclusif au service de la jeunesse congolaise.