Une trajectoire artistique singulière
À quarante-six ans, Gilles Djibril Miakalououa revendique une part d’ombre et de lumière héritée de sa mère, la chanteuse populaire Jacquito Mpoungou, disparue en 2016. Reprendre le flambeau, oui, mais en changeant de matière : il fait vibrer l’image, non la note.
Cet enfant de la rime aurait pu suivre la voie ouverte par le timbre maternel. Pourtant, il pressent que la caméra peut toucher un public plus large et plus jeune, friand d’histoires incarnées plutôt que de refrains nostalgiques.
Héritage féminin et choix de l’image
« J’intègre la musique dans le cinéma », répond-il, refusant l’idée d’une rupture. La bande-son demeure un pont affectif vers la lignée maternelle et rappelle l’importance des figures féminines dans la transmission artistique au Congo-Brazzaville.
En plaçant souvent les femmes au centre de ses scénarios, Miakalououa souligne, sans didactisme, les ressorts intimes des tensions familiales. Les protagonistes féminines ne servent plus d’ornement ; elles portent la complexité sociale d’une nation en mutation.
Premières armes et reconnaissance officielle
Formé à la scène auprès de Jean-Claude Loukalamou, compagnon de Sony Labou Tansi, il comprend vite la limite d’un théâtre peu accessible financièrement. Le casting du film « Le Destin » lui ouvre la porte d’un apprentissage empirique.
De comédien, il devient dialoguiste puis scénariste, avant d’obtenir la carte professionnelle de réalisateur délivrée par le ministère de l’Industrie culturelle. Ce parcours balisé par l’État démontre qu’un cadre administratif existe, même s’il reste perfectible.
Obstacles matériels et absence de mécénat
Le cinéaste déplore le manque d’espaces de répétition à Brazzaville et l’insuffisance de mécènes. Ces carences ralentissent la production d’œuvres locales et réduisent les opportunités économiques pour les jeunes, notamment les femmes, présentes dans toute la chaîne.
Il cite son long métrage « Tara mé », quasi prêt, explorant la jalousie dans les familles recomposées mais bloqué faute de financement. L’inaction des investisseurs prive le public d’un miroir sur des problématiques conjugales souvent tues.
Même constat pour sa série « Ntémbé za wa », centrée sur une veuve qui protège son patrimoine. Au-delà de la fiction, cette intrigue plaide pour l’autonomie économique des femmes et interroge la coutume des remariages imposés.
Structurer le secteur pour l’égalité
Miakalououa appelle à des assises du cinéma congolais réunissant réalisateurs, juristes et diffuseurs pour construire des procédures de paiement transparentes. Sans rémunération fiable, le métier reste précaire et décourage les vocations, surtout féminines.
Une régulation claire faciliterait l’obtention des certificats de diffusion exigés par les festivals internationaux, ouvrant les portes des marchés africains francophones. Le territoire gagnerait en rayonnement et en devises tout en exportant des récits ancrés dans l’expérience féminine congolaise.
« Le cinéma regorge de métiers pour les jeunes », insiste-t-il. Costumière, cheffe-opératrice, monteuse ou gestionnaire de production : autant de postes susceptibles d’offrir des carrières stables aux Congolaises si la filière se structure réellement.
Diffusion nationale, enjeu stratégique
Il exhorte également Télé Congo à privilégier les productions nationales. Diffuser des films locaux, même modestes, crée un écosystème où les talents féminins se sentent légitimes et visibles, stimulant de nouvelles vocations.
Une telle programmation renforcerait aussi le soft power culturel du Congo-Brazzaville, sans opposer création et patriotisme. L’État, déjà engagé dans la promotion des industries culturelles, disposerait d’un outil puissant pour valoriser sa jeunesse.
L’image, haut-parleur des voix féminines
Dans « Congo Lousse », actuellement en montage, le réalisateur explore la négociation fragile entre producteur et réalisatrice. En choisissant ce point de vue interne, il met en lumière le leadership féminin derrière la caméra, encore minoritaire.
Les récits qu’il porte questionnent la gestion des alliances familiales, des héritages et des violences psychologiques. Autant de thèmes travaillés depuis des années par les associations de défense des droits des femmes, dont notre Observatoire.
Cinéma, outil de cohésion sociale
Soutenir la production audiovisuelle locale ne relève pas seulement du divertissement. Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de vingt-cinq ans, l’écran devient un vecteur d’éducation civique et de prévention des violences.
Investir dans le cinéma signifie prévenir les conflits domestiques, améliorer la compréhension intergénérationnelle et ouvrir un espace de débat apaisé, loin des réseaux sociaux souvent polarisés. L’image permet de désamorcer la tension par l’identification.
Coopérations et futur durable
L’avenir du secteur reposera sur un triangle de coopération État, investisseurs et créatifs. La société civile, notamment les organisations féminines, peut relayer les sujets urgents et valoriser les productions porteuses d’émancipation.
Les plateformes de vidéo à la demande, encore peu implantées, constituent une opportunité inédite. Un partenariat public-privé pourrait permettre la création d’un catalogue congolais, accessible aux diasporas et générateur de revenus réinvestis dans la formation.
À terme, l’objectif serait de garantir qu’aucune réalisatrice, aucun scénariste ou cadreuse ne voie son projet avorter faute de mécène. La diversité des récits renforcerait l’image d’un Congo-Brazzaville créatif, pacifié et tourné vers l’égalité.
En transformant le legs musical de sa mère en récit visuel, Gilles Djibril Miakalououa illustre la vitalité d’une génération de cinéastes prêts à raconter le Congo au féminin pluriel. Au public et aux décideurs d’offrir désormais la scène que mérite ce regard.