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Disparition d’une figure congolaise de l’architecture

L’annonce du décès de Paul Tsouarès De M’Poungui, survenu le 30 juillet 2025 à l’Hôpital Cochin de Paris, a pris de court nombre de ses compatriotes. Âgé de soixante-treize ans, l’ancien conseiller à l’habitat laisse derrière lui le souvenir d’un bâtisseur exigeant et d’un citoyen engagé.

La nouvelle s’est rapidement propagée au sein de la diaspora, révélant l’attachement persistant des Congolais de l’étranger à leurs racines. Pour beaucoup, la disparition de cet architecte symbolise la perte d’un pont entre Brazzaville, Pointe-Noire et les grandes métropoles européennes.

Un parcours académique entre Mouyondzi et Paris

Né non loin de Mouyondzi, celui que ses proches surnommaient « l’enfant de la Bouenza » bénéficie d’une bourse de l’État congolais au début des années 1970. À Paris, il intègre l’École spécialisée d’architecture, où il se forge une réputation d’étudiant brillant et volontaire.

Au fil des cours, il développe une vision de l’habitat qui privilégie l’adaptation au climat, la sobriété énergétique et l’intégration des matériaux locaux. Cette approche, avant-gardiste pour l’époque, marque encore aujourd’hui plusieurs réalisations urbaines au Congo.

Engagement associatif et militantisme estudiantin

Très tôt, Paul Tsouarès De M’Poungui s’investit dans l’AEC et la FEANF, deux structures phares de la vie estudiantine africaine à Paris. Des réunions de quartier aux grands débats sur l’urbanisme, il prône une solidarité active entre étudiants, future élite de leurs pays respectifs.

« Il défendait déjà la construction de logements décents pour tous », se souvient Jeanne Mayanda, ancienne camarade de promotion. Son engagement, raconte-t-elle, dépassait les clivages politiques et visait d’abord le bien-être collectif dans un contexte post-indépendance en pleine mutation.

Retour au pays et service auprès du pouvoir public

Rentré à Brazzaville en 1992, il est nommé conseiller à l’habitat du président Pascal Lissouba. Sa mission consiste à proposer des plans d’urbanisation tenant compte de la démographie galopante et de l’essor économique du littoral. Le projet de lotissements de Mpila porte encore sa signature.

Ses relations cordiales avec le chef de l’État ne l’empêchent pas d’afficher une indépendance critique. Selon un proche collaborateur, il décline une proposition ministérielle afin de conserver sa liberté intellectuelle et de poursuivre le développement de son cabinet d’architecture installé à Paris.

Un entrepreneur entre deux continents

À la tête de la société Espace Vision, il conçoit des immeubles résidentiels, des écoles et plusieurs équipements sportifs. Son entreprise emploie successivement une soixantaine de techniciens congolais et français, devenant un pôle de transfert de compétences salué par les organisations professionnelles.

Sa méthode repose sur la formation continue. Il organise régulièrement des stages à Brazzaville, convaincu que « chaque ingénieur formé localement contribue à l’autonomie nationale ». Cette conviction trouve un écho particulier chez les jeunes diplômés qui le considéraient comme un mentor.

Vie privée et passion pour la culture

Marié puis divorcé, père d’un fils, il cultive un intérêt marqué pour la musique traditionnelle téké et les arts plastiques. Ses amis racontent des soirées où il mêlait discussion politique, makoua au piano et expositions improvisées d’artistes émergents.

« Sa maison respirait la convivialité, on y entrait comme dans un atelier ouvert à toutes les idées », témoigne l’auteure Léonie Niangue, qui participa à plusieurs de ces rencontres. Ce goût pour l’échange intellectuel nourrit sa réputation d’homme accessible.

Veillée parisienne, émotion partagée

Le 9 août, la salle municipale d’Épinay-sur-Seine accueille une veillée mortuaire rassemblant proches, collègues et membres de la communauté congolaise. Chants liturgiques, allocutions et projection de photos retracent un demi-siècle d’engagement au service du développement durable.

Des représentants d’associations de la diaspora rappellent que son œuvre illustre la complémentarité entre formation européenne et responsabilité nationale. Pour eux, son parcours démontre qu’« on peut réussir à l’étranger tout en conservant une fidélité indéfectible à la terre d’origine ».

Le dernier voyage vers Moukosso

Conformément à son vœu, la dépouille quittera Paris le 29 août pour atterrir à l’aéroport Agostinho Neto de Pointe-Noire. Un cortège se formera aussitôt, direction Moukosso, petit village du district de Yamba, où il sera inhumé le lendemain.

Le comité d’organisation, dirigé par Marcel Bissila et Serge M’Poungui, a établi un programme précis : recueillement familial à Tié-Tié, messe d’adieu, puis transfert routier vers la Bouenza. Les autorités locales assurent le soutien logistique nécessaire à la bonne tenue des obsèques.

Résonances locales d’un parcours international

Dans la Bouenza, la disparition de cet enfant du pays rappelle l’importance de la mobilité académique. Le préfet du département souligne que « son itinéraire prouve qu’un investissement éducatif peut engendrer un retour positif pour la collectivité ».

Les villageois de Moukosso préparent une veillée traditionnelle, mêlant tambours et chants funéraires, pour saluer celui qui n’avait jamais cessé d’envoyer des contributions financières destinées à la construction du dispensaire et de la bibliothèque communale.

Transmission et héritage professionnel

Plusieurs architectes congolais envisagent de créer une fondation portant son nom afin de poursuivre des recherches sur l’habitat tropical. L’Ordre national des architectes mentionne sa « vision pionnière » et espère qu’elle inspirera une nouvelle génération d’urbanistes.

La faculté des sciences et techniques de l’Université Marien-Ngouabi projette, quant à elle, un cycle de conférences retraçant les grandes étapes de sa démarche éco-responsable, considérée comme une référence dans l’enseignement du génie civil.

Regards croisés sur une personnalité haute en couleur

Ses anciens collègues le décrivent comme un « orateur volcanique », prompt à de franches colères mais tout aussi prompt à des éclats de rire. Cette gouaille participait à son charisme, rendant chaque réunion de chantier mémorable.

Dans une tribune publiée à Brazzaville, le journaliste sportif Luze Ernest Paulin Bakala évoque « l’humour décapant » de l’architecte, capable d’apaiser les tensions par une anecdote bien choisie avant de revenir, plus sérieux, à la résolution d’un problème technique.

Une mort qui interroge la condition des seniors en diaspora

La longue maladie ayant emporté Paul Tsouarès De M’Poungui relance le débat sur l’accompagnement sanitaire des Congolais âgés à l’étranger. Des associations réclament un renforcement des accords bilatéraux pour faciliter le retour anticipé des seniors souhaitant finir leurs jours au pays.

Si ses moyens lui ont permis de financer des soins de qualité, d’autres compatriotes vivent un exil médical douloureux. Le comité de la diaspora rappelle que la solidarité familiale et la couverture sociale demeurent des enjeux majeurs pour la cohésion communautaire.

Écho auprès des femmes et jeunes professionnels

Dans les rangs des femmes architectes, son parcours fait figure de modèle quant à la persévérance académique. « Il encourageait nos carrières, affirmant que la mixité enrichit la créativité », confie l’urbaniste Grâce Mabanza. Ce soutien demeure précieux dans un métier longtemps masculinisé.

Les réseaux de jeunes professionnels signalent que, malgré ses succès, il n’a jamais cessé d’offrir des stages rémunérés aux étudiantes méritantes, illustrant une conscience aiguë de l’égalité des chances, valeur portée par notre Observatoire.

Mémoire collective et perspectives

Au-delà de la douleur de la perte, l’itinéraire de Paul Tsouarès De M’Poungui rappelle le rôle central des élites diasporiques dans la transmission de savoirs. Son décès incite à consolider les passerelles scientifiques et culturelles entre la France et le Congo, pour un développement endogène.

L’espoir partagé est que cette disparition serve de catalyseur à de nouvelles initiatives, tant dans le domaine de l’habitat durable que dans la promotion des talents féminins, un des chantiers prioritaires de la société congolaise contemporaine.

Derniers mots

Alors que s’approche le jour de l’inhumation, la nation se prépare à saluer une dernière fois l’homme et le bâtisseur. Sa trajectoire, faite de convictions, d’allers-retours et de projets concrets, s’achèvera dans la terre rouge de la Bouenza, d’où naissent désormais de nouveaux espoirs.