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Une nomination historique pour la mode congolaise

En se voyant nommée aux Talents d’Or 2025, la styliste brazzavilloise Edouarda Diayoka marque un jalon inédit pour la création féminine congolaise. Sa sélection consacre des années d’exploration esthétique et résonne comme un signal d’ouverture vers les podiums continentaux.

Pour la première fois, une créatrice du Congo-Brazzaville figure dans la short-list de ce concours panafricain, rendez-vous annuel des maisons émergentes du textile. L’annonce, intervenue le 3 septembre, a immédiatement suscité une vague d’enthousiasme sur les réseaux sociaux locaux.

Ce succès individuel possède également une portée collective : il confirme la montée en puissance d’une génération de professionnelles qui, en dépit d’un écosystème encore fragile, revendiquent une place visible dans l’économie créative sous-régionale.

Louata, un laboratoire de créativité affirmée

Fondée en 2019, la griffe Louata s’inspire des silhouettes urbaines, des étoffes traditionnelles et d’un chromatisme solaire. Les coupes étirent la ligne, célèbrent la mobilité et s’appuient sur des fournisseurs locaux, gage de traçabilité et de circuit court selon la créatrice.

Parmi les pièces phares, sa tenue jaune et bleue, déjà repérée lors de la Fashion Week de Pointe-Noire, matérialise sa vision : unir optimisme et confiance. Elle cite volontiers l’art kongo et l’architecture moderniste de Brazzaville comme matrices de sa palette.

Ce positionnement s’accompagne d’un discours engagé sur l’autonomisation des femmes. « La couture est un outil d’expression et de revenus », rappelle-t-elle, soulignant qu’une vingtaine d’artisanes collaborent déjà avec son atelier-école à Makélékélé.

Les Talents d’Or, tremplin panafricain stratégique

Créés en 2013 à Abidjan, les Talents d’Or distinguent chaque année dix profils prometteurs du vêtement, de la bijouterie ou de l’accessoire. Le jury, composé de journalistes spécialisés, d’enseignants et de distributeurs, oriente ensuite les lauréats vers des résidences professionnelles.

L’édition 2025 réunit des designers du Togo, de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Gabon et des deux Congo. Au-delà du prestige, le concours ouvre l’accès à des showrooms partenaires et à un programme de mentorat soutenu par l’AFD.

Selon le règlement, chaque vote en ligne coûte 105 F CFA. Si l’artiste atteint le seuil fixé, elle pourra présenter sa collection dans le pays de son choix, un dispositif qui favorise la mobilité et la conquête de nouveaux marchés.

Interrogé, le coordinateur du concours, Kossi Gnamkoulamba, souligne « l’importance d’une représentation féminine diversifiée », rappelant que les secteurs créatifs demeurent dominés par des structures masculines dans plusieurs capitales.

Empowerment féminin et retombées sociétales

À Brazzaville, des chercheures en sociologie du genre perçoivent la nomination d’Edouarda comme un vecteur d’émancipation symbolique. La visibilité d’une entrepreneuse jeune, autonome et ouverte sur l’espace francophone renforce les modèles aspirants manquants dans les quartiers périphériques.

Pour l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes, soutenir la filière mode constitue aussi un moyen de diversifier les perspectives économiques offertes aux survivantes de violence domestique, souvent cantonnées à l’informel.

Un partenariat pilote a d’ailleurs été signé en juillet 2024 entre l’Observatoire et l’atelier Louata pour former six couturières issues de centres d’hébergement, confirmant la capacité du secteur créatif à tisser des passerelles inclusives.

L’économiste Alphonse Oba estime que « chaque succès individuel multiplie l’attractivité du label Made in Congo », créant des emplois indirects dans le tissage, la teinture ou la logistique, tout en améliorant l’image-pays auprès des investisseurs.

Mobilisation du public : vote, symbole et citoyenneté

Dès l’ouverture de la plateforme, une campagne digitale s’est structurée autour du mot-dièse #VoteLouata. Entre encouragements de célébrités et vidéos d’étudiants, la collecte de voix devient un exercice de fierté nationale et de solidarité inter-générationnelle.

Le coût symbolique de 105 F CFA par vote suscite un débat sur l’accessibilité, mais plusieurs associations rappellent que la participation au suffrage culturel demeure un acte de citoyenneté économique, comparable à l’achat d’un billet de spectacle.

En cas de victoire, le défilé itinérant envisagé par la styliste pourrait être organisé à Oyo, Pointe-Noire ou Abidjan, chaque option offrant un retentissement différent. Pour l’instant, l’issue des votes reste ouverte, nourrissant une attente collective.

Quelle que soit la décision finale, la nomination d’Edouarda Diayoka démontre que la créativité féminine congolaise avance, portée par l’alliance entre talents, institutions et citoyens. Ce mouvement de fond laisse augurer un écosystème plus inclusif où l’esthétique devient levier de développement.

Perspective institutionnelle et cadre réglementaire

Depuis 2021, le ministère de la Promotion de la femme et de l’Intégration féminine a inscrit les industries culturelles dans son plan d’action quinquennal, mettant l’accent sur la formation et l’accès aux financements. La candidature d’Edouarda illustre l’opérationnalisation progressive de ce cadre.

Les statistiques officielles comptabilisent déjà 2 300 emplois directs créés entre 2022 et 2024 dans la mode et l’artisanat d’art. Selon la direction des études économiques, 65 % de ces postes sont occupés par des femmes, signe d’un repositionnement genré du marché.

Dans ce contexte, l’Observatoire plaide pour une politique fiscale incitative sur les tissus locaux et pour l’inclusion systématique des designers dans les délégations commerciales. La visibilité internationale de Louata offre un argument supplémentaire à ces recommandations.