Vaccins DTC : 115 millions de bras et des doutes

Une embellie vaccinale confirmée en 2024

Les dernières données conjointes de l’Organisation mondiale de la santé et du Fonds des Nations unies pour l’enfance font état de 115 millions d’enfants ayant reçu le schéma complet du vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche au cours du premier semestre 2024 (OMS/Unicef, 2024). Cette performance, supérieure de 171 000 doses à celle de l’an passé, témoigne d’une résilience remarquable des systèmes de santé primaires, souvent mis à l’épreuve par la pandémie, la volatilité économique et les crises sécuritaires régionales. Si l’on rapporte ce résultat à la décennie précédente, le volume d’enfants protégés a crû de près de 10 %, signe tangible d’une volonté internationale de renouer avec l’ambition sanitaire portée par les Objectifs de développement durable.

Les enfants « zéro dose » et l’ombre des disparités

Derrière l’impressionnante courbe ascendante se cache toutefois un chiffre têtu : 14,3 millions de nourrissons n’ont toujours reçu aucune injection, ni DTC ni autre antigène pédiatrique. Ils habitent majoritairement des zones où instabilité politique, éloignement géographique et précarité se confondent. Cette poches de vulnérabilité rappellent que l’immunité collective mondiale se construit à la périphérie autant qu’au centre. L’objectif intermédiaire fixé par l’Agenda vaccination 2030 exigeait d’abaisser ce contingent annuel à moins de 10,3 millions : le compte n’y est pas. Pour les sociologues de la santé, ces « zéro dose » constituent un baromètre d’inégalités structurelles, révélant l’accès différencié aux infrastructures, à l’information et à la confiance envers les institutions publiques.

Financement en berne et essor de la désinformation

Dans son commentaire, le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’est félicité des progrès réalisés tout en pointant la menace combinée de la contraction de l’aide publique au développement et de la prolifération de contre-vérités sur l’innocuité vaccinale. Ces deux facteurs convergents ont un effet ciseau : l’un assèche les budgets logistiques, l’autre érode la demande sociale. Catherine Russell, à la tête de l’Unicef, souligne un paradoxe ironique : « Nous savons prévenir la diphtérie ou la coqueluche à faible coût, et pourtant des enfants continuent d’en mourir ». Dans cet affrontement narratif entre évidence scientifique et scepticisme numérique, les parents, et plus encore les mères, se retrouvent en première ligne, sommées d’arbitrer pour la survie de leurs enfants au milieu d’un brouhaha informationnel.

Regards croisés depuis Brazzaville

Avec un taux national de couverture DTC3 estimé à 83 % en 2023, la République du Congo se situe légèrement au-dessus de la moyenne africaine tout en ambitionnant de franchir le seuil de 90 % recommandé par l’OMS. Les autorités sanitaires ont, cette année, renforcé la surveillance communautaire et multiplié les jours de vaccination avancée dans les districts fluviaux où l’accès routier demeure aléatoire. Le partenariat maintenu avec l’Initiative Gavi contribue au financement du froid solaire, crucial sous climat équatorial. Pour les femmes congolaises, souvent responsables de l’observance vaccinale, ces progrès logistiques réduisent le nombre de déplacements coûteux vers les centres urbains. La Société congolaise de pédiatrie note d’ailleurs un recul de 12 % des abandons entre la première et la troisième dose, indicateur clé de fidélisation au calendrier élargi.

Mères, pivot stratégique de l’immunité pédiatrique

D’un point de vue sociologique, le capital décisionnel féminin reste déterminant dans la réussite d’une campagne vaccinale. Les enquêtes menées à Talangaï et Poto-Poto montrent que la probabilité d’achèvement du schéma DTC triple lorsque la mère a bénéficié d’au moins deux visites prénatales accompagnées de sessions d’éducation sanitaire. La corrélation est encore plus forte pour les cheffes de ménage exerçant une activité génératrice de revenu, signe que l’autonomie économique renforce la capacité à négocier le temps et le coût du transport sanitaire. Ainsi, investir dans l’alphabétisation et la microfinance féminines ne relève pas seulement d’un impératif d’égalité, mais constitue aussi une stratégie de santé publique à haut rendement.

Cap sur 2030 : recommandations et réalisme

À six ans de l’échéance 2030, l’équation reste complexe. Les experts préconisent un alignement plus étroit entre politiques de renforcement du système de santé et stratégies de communication locale, dans lequel les radios communautaires, les leaders religieux et les associations féminines jouent un rôle d’interface. Sans stigmatiser, il s’agit de lever les peurs liées aux effets secondaires et de rappeler que la diphtérie, le tétanos néonatal ou la coqueluche ne relèvent pas du passé mais d’un risque présent. Le financement innovant, via taxes de solidarité ou obligations santé, offre des pistes explorées par plusieurs pays d’Afrique centrale, y compris le Congo. L’appui technique international, s’il demeure constant, devra se conjuguer avec une appropriation nationale accrue pour transformer les 115 millions de doses actuelles en une couverture universelle durable.