Une embellie macroéconomique encore fragile pour elles
Le Comité national économique et financier, relayant les estimations de la Banque des États de l’Afrique centrale, vient de confirmer une expansion de 1,8 % du produit intérieur brut réel pour 2025. Dans un contexte post-pandémique où la résilience reste le maître mot, cette progression représente une respiration bienvenue dans les comptes publics. Pourtant, au-delà de l’agrégat triomphal, la réalité quotidienne de la majorité féminine demeure marquée par des trajectoires professionnelles discontinues, des revenus informels et une couverture sociale lacunaire. Autrement dit, la croissance se traduit rarement en pouvoir d’achat net pour la ménagère brazzavilloise.
Entre pétrole et marché informel, la double peine
La dynamique reste largement portée par la poursuite des investissements pétroliers, secteur à dominante masculine tant dans l’emploi direct que dans la sous-traitance. D’après la Direction générale de l’économie, les femmes représentent moins de 15 % des effectifs permanents sur les plateformes offshore, et encore moins dans les métiers techniques de l’amont. Elles se replient alors sur un secteur informel qui ne contribue qu’indirectement au PIB, échappant à la fois aux statistiques et à la protection sociale. « Lorsque la manne pétrolière s’affiche dans les chiffres, nous, détaillantes de marché, continuons à jongler avec les coupures d’électricité et le coût du transport », observe Marie-Claire Kimbembé, présidente d’une coopérative de revendeuses de denrées au marché Total.
L’inflation à 3,5 % : panier de la ménagère sous tension
L’inflation moyenne projetée à 3,5 %, au-dessus de la norme communautaire, traduit la hausse des prix des produits importés mais également des perturbations énergétiques qui renchérissent la conservation des vivres. Pour la sociologue Agnès Oba-Lékondzo, « la moindre variation du cours du maïs ou de l’huile affecte en cascade la sécurité alimentaire des foyers monoparentaux tenus par des femmes ». L’Observatoire congolais des violences faites aux femmes note que 62 % des conflits domestiques signalés à Brazzaville sont déclenchés par un stress financier lié à la hausse des prix de première nécessité. L’amélioration globale du PIB risque ainsi d’être absorbée par l’augmentation simultanée du coût de la vie.
Crédit bancaire, un plafond de verre persistant
Malgré une progression de 3,3 % de l’encours de crédits bruts accordés à la clientèle, les entrepreneures congolaises peinent toujours à accéder au financement. La dernière enquête de la BEAC montre que moins de 18 % des prêts productifs sont octroyés à des structures dirigées par des femmes. Les garanties exigées restent élevées, tandis que la bancarisation peine à dépasser 25 % des adultes. Or, sans capital patient, les femmes, notamment les jeunes diplômées, demeurent confinées à des micro-entreprises à faible rendement, hors des chaînes de valeur stratégiques.
Textile et import-substitution, chance ou mirage?
Le CNEF a encouragé la mise en œuvre des recommandations sur les importations de textile et l’import-substitution. Ce secteur, historiquement féminisé, pourrait générer des milliers d’emplois si les exonérations ciblées et la formation technique accompagnaient la politique. Toutefois, l’expérience d’autres pays d’Afrique centrale rappelle que la substitution ne réussit que si les normes de qualité et les chaînes logistiques sont maîtrisées. Faute de quoi les pagnes fabriqués localement resteront plus chers que les ballots importés, et les couturières continueront à subir la concurrence de produits sous-facturés.
Éducation financière et politiques publiques inclusives
Face à ces obstacles, des initiatives émergent. La plateforme « Nkísi na Mboka », soutenue par le ministère de la Promotion de la femme, propose des modules d’éducation financière à plus de cinq cents vendeuses de denrées chaque trimestre. Pour son coordinatrice, Élise Itoua, « la croissance affichée n’aura d’impact que si les femmes comprennent et contrôlent leurs flux de trésorerie ». De leur côté, les autorités budgétaires s’engagent à maintenir un dialogue constant avec les Spécialistes en valeurs du Trésor, afin de stabiliser la dette et libérer des marges pour les programmes sociaux ciblant les ménages vulnérables.
Perspectives 2025 : consolider sans exclure
La consolidation attendue de l’activité économique en 2025 offre une fenêtre d’opportunité pour intégrer pleinement les Congolaises dans la création de valeur, condition essentielle à un développement équilibré. En renforçant les filets sociaux, en assouplissant les conditions de crédit et en soutenant les secteurs à forte intensité féminine, le gouvernement peut transformer la croissance nominale en progrès social tangible. La trajectoire à 1,8 % ne sera véritablement victorieuse que si elle se lit aussi dans la sécurité des assiettes familiales, l’autonomie financière et la dignité quotidienne des femmes qui constituent plus de la moitié du capital humain national.