Une affaire foncière au retentissement national
Le 13 août 2025, la Cour suprême a clos le litige opposant Mme Gisèle Ngoma à l’ambassade de Bulgarie concernant une parcelle de 982 mètres carrés située au cœur de Brazzaville. Le verdict confirme le titre foncier acquis par l’État bulgare en 1971, après une décennie de procédures.
Rarement un dossier civil aura suscité autant d’attention médiatique. Parce qu’il met face à face une femme entrepreneure et une représentation diplomatique étrangère, l’affaire a cristallisé des interrogations sur l’effectivité des garanties offertes aux citoyennes dans la défense de leurs droits patrimoniaux.
La jurisprudence de la Cour suprême et ses impacts
En rappelant que « la propriété régulièrement inscrite au livre foncier prime tout acte postérieur », la haute juridiction renforce la primauté de la publicité foncière. L’arrêt, définitif, ordonne l’expulsion des occupants et accorde des dommages-intérêts à l’ambassade, consolidant la valeur probante des archives notariales.
Pour Me Séraphin Loufoua, avocat au barreau de Brazzaville, cette décision « clarifie la hiérarchie des titres et rassure les investisseurs ». Mais elle révèle aussi, selon l’experte en genre Dorcas Oko, « la fragilité de certaines procédures d’acquisition suivies par des femmes manquant d’appui technique ».
Femmes, propriété et sécurité juridique
Le Congo a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Pourtant, moins de 15 % des titres fonciers urbains appartiennent à des Congolaises, d’après une enquête de l’École nationale d’administration et de magistrature publiée en 2023.
Dans les zones rurales, la proportion tombe à 8 %. L’inscription de la parcelle au nom de la Bulgarie rappelle l’importance d’un acte notarié incontestable, procédure souvent coûteuse pour des ménages dirigés par des femmes, surtout lorsqu’elles évoluent dans l’informel.
L’affaire Ngoma soulève donc une question centrale : comment garantir aux femmes un accès équitable aux services fonciers afin qu’elles puissent sécuriser leurs investissements et transmettre un patrimoine à leurs enfants ?
Obstacles socioculturels persistants
La coutume reconnait fréquemment la gestion des terres aux lignages masculins, limitant l’autonomie foncière des épouses et des filles. Selon la sociologue Clarisse Massanga, « le poids symbolique de la terre demeure associé à l’autorité masculine, même en milieu urbain ».
Cette répartition traditionnelle se traduit par une faible représentation féminine dans les commissions de désaffectation ou d’expropriation. Or, la participation aux organes de décision constitue un levier indispensable pour plaider des causes similaires à celle de Mme Ngoma.
La peur d’un contentieux long et onéreux dissuade également beaucoup de Congolaises de contester un titre litigieux. Les dossiers traînent parfois plusieurs années, comme en témoigne le différend Bulgarie-Ngoma, ouvert en 2019 devant le tribunal de grande instance.
Initiatives de renforcement des capacités
Le ministère des Affaires sociales a lancé en 2024 un programme de cliniques juridiques mobiles. Elles sillonnent les quartiers périphériques pour expliquer les démarches de conservation foncière et fournir une assistance gratuite aux femmes entrepreneures.
Parallèlement, l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes coordonne des ateliers avec l’Ordre des notaires. Objectif : simplifier la lecture des actes et promouvoir l’enregistrement systématique des transactions, condition sine qua non pour éviter la multiplication de litiges.
Les partenaires techniques, tels qu’ONU-Femmes et la Banque mondiale, soutiennent des plateformes numériques de consultation cadastrale. Une meilleure transparence des registres limite la vente multiple d’une même parcelle et réduit le risque de spoliation, phénomène souvent dénoncé par les associations féminines.
Perspectives d’évolution des droits fonciers féminins
La décision de la Cour suprême crée un précédent en matière de force exécutoire des titres fonciers. Pour de nombreuses juristes congolaises, elle doit accélérer la réforme annoncée du Code foncier, notamment la disposition prévoyant un quota féminin dans les commissions locales.
Une proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale en mai 2025, recommande d’abaisser de 30 % les frais d’enregistrement pour les primo-acquérantes. Cette mesure, soutenue par plusieurs parlementaires, pourrait réduire la barrière financière qui a piégé Mme Ngoma dans une transaction insuffisamment protégée.
Enfin, la diffusion des décisions de justice sur un portail public, évoquée par la Chancellerie, contribuerait à vulgariser la jurisprudence et à créer un climat de confiance. L’objectif est clair : faire en sorte que chaque Congolaise, qu’elle soit commerçante ou cadre, puisse défendre son droit à la terre sur un pied d’égalité.