La genèse d’une agence au service du secteur informel
Le vote, le 11 août, du projet de loi créant l’Agence nationale pour la transformation de l’économie informelle, Antei, marque un tournant stratégique pour l’écosystème entrepreneurial congolais, encore dominé par 80 % d’activités non enregistrées selon la Banque mondiale.
L’initiative, portée par le ministère de la Promotion de la femme, ambitionne de générer un cadre fiscal simplifié, de sécuriser les revenus des acteurs informels et d’améliorer la contribution du segment à un Produit intérieur brut qui demeure vulnérable aux fluctuations externes.
Le Sénat a entériné le texte à l’unanimité, soulignant la nécessité d’un instrument coordonnant les interventions étatiques dispersées et de nouvelles synergies avec les institutions financières locales, telles que la Mucodec et la BGD, déjà actives auprès des microentreprises urbaines et rurales.
Au cœur du dispositif, un conseil d’orientation d’une dizaine de membres issus de la société civile, des chambres consulaires et des organisations féminines, examinera semestriellement les indicateurs de performance, parmi lesquels la proportion d’entrepreneures bénéficiant d’une couverture maladie et d’un compte bancaire.
Enjeux spécifiques pour les femmes entrepreneures
Dans ce tissu productif, les femmes représentent près de 64 % des travailleurs informels, d’après l’Institut national de la statistique, une présence qui traduit leur capacité de résilience mais aussi leur exposition accrue à l’insécurité des revenus et aux violences économiques invisibilisées.
En séance plénière, la ministre Inès Nefer Ingani Voumbo Yalo a insisté sur « l’intégration concrète de la dimension genre » dans les futurs décrets d’application, soulignant que la soutenabilité du dispositif dépendra de mécanismes adaptés aux réalités quotidiennes des vendeuses de marchés et des aides ménagères.
Le dispositif proposera une taxe unique forfaitaire, dont le barème progressif sera calibré sur le chiffre d’affaires, évitant ainsi d’asphyxier les microactivités féminines installées dans les quartiers périphériques de Brazzaville ou de Pointe-Noire, où le pouvoir d’achat reste limité.
Dispositif fiscal et protection sociale inclusifs
L’Antei prévoit par ailleurs la mise en place de sociétés d’intérim pour formaliser les métiers de soins à domicile, majoritairement exercés par des femmes, et permettre leur affiliation progressive à la Caisse nationale de sécurité sociale, gage d’une protection maternité effective.
Selon l’économiste Cédrick Badinga, chercheur à l’Université Marien-Ngouabi, « l’adossement de la taxe forfaitaire à un guichet unique réduira les coûts de transaction et renforcera la traçabilité, condition pour attirer de futurs investissements d’impact dédiés à l’entrepreneuriat féminin ».
Les études d’impact préalables, consultées par notre Observatoire, soulignent une élasticité emploi-revenu élevée dans les services domestiques : un franc de revenu supplémentaire se traduit, pour les cheffes de ménage, par une dépense accrue en scolarisation et en santé familiale.
Voix d’actrices du terrain et perspectives
À Poto-Poto, Mireille, couturière de 32 ans, se dit prête à tester l’enregistrement via l’Antei, espérant « obtenir un carnet de commandes plus régulier grâce à la certification ». Elle redoute toutefois la complexité administrative ; l’agence promet une médiation numérique par smartphone simplifiant les formalités.
Un portail électronique, développé avec l’appui de l’Agence de régulation des postes et communications électroniques, garantira l’interopérabilité avec les registres de l’État civil, limitant le recours aux actes de naissance papier souvent indisponibles chez les femmes déplacées des districts frontaliers.
Le directeur général pressenti, Alain Ibata, assure que des agents de terrain, majoritairement des femmes diplômées en gestion, seront recrutés pour sensibiliser les entrepreneures, minimisant ainsi le risque de méconnaissance du nouveau cadre réglementaire.
Pour la sociologue Grâce Tchibinda, les leçons du recensement national des unités informelles de 2019 obligent à éviter « l’écueil de la formalisation punitive » qui avait découragé les vendeuses ambulantes à Kinshasa ; l’Antei devra prioriser la pédagogie et l’accès effectif aux microcrédits.
Un pas supplémentaire vers l’égalité économique
Au plan budgétaire, l’agence sera dotée, la première année, d’un fonds de démarrage de 5 milliards de francs CFA, inscrit dans la loi de finances rectificative, dont 30 % seront consacrés à l’accompagnement des activités portées par des femmes, selon le ministère des Finances.
La consolidation progressive de l’économie formelle pourrait, à moyen terme, élargir l’assiette fiscale nationale et dégager des ressources pour des politiques publiques ciblant la lutte contre les violences basées sur le genre, ambition à laquelle souscrit la stratégie gouvernementale 2022-2026.
En articulant régulation du marché et empowerment, l’Antei offre une opportunité de renforcer la citoyenneté économique des femmes, sans opposer formel et informel mais en organisant leur complémentarité, argumente l’anthropologue Didier Boukaka, membre de la task-force interministérielle.
Les premiers rapports d’activité, attendus douze mois après l’entrée en fonction, seront passés au crible par la Cour des comptes, procédure qui, selon la juriste Clarisse Okombi, « renforce la crédibilité d’un mécanisme public encore inédit dans la région ».