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Bouenza, nouvel épicentre industriel congolais

En quelques années, le département de la Bouenza s’est mué en laboratoire d’industrialisation, soutenu par l’inauguration de la première distillerie nationale d’éthanol à Nkayi et d’une usine de biocarburants à Loudima, deux infrastructures saluées par le président Denis Sassou Nguesso en juin.

Cette dynamique industrielle, appuyée par des investissements privés estimés à plus de cinquante milliards de francs CFA, place désormais la Bouenza parmi les territoires les plus stratégiques du Congo pour la diversification économique, loin de la seule dépendance aux hydrocarbures.

Au-delà des chiffres macroéconomiques, l’arrivée de ces usines redessine les rapports sociaux locaux, notamment pour les femmes rurales qui trouvent là de nouvelles perspectives professionnelles, mais aussi des défis inédits en matière de droits, de santé et de protection.

Distillerie d’éthanol: promesse d’autonomie et d’emplois féminins

Portée par Somdia, la distillerie de Nkayi transforme la mélasse issue de Saris-Congo en 6 millions de litres d’éthanol par an, couvrant la demande nationale et réduisant les importations; un gain de devises qui, selon le ministère de l’Industrie, soutiendra 300 emplois directs.

Les premiers recrutements affichent déjà 35 % de femmes, principalement dans le contrôle qualité, la maintenance légère et la logistique interne, un pourcentage supérieur à la moyenne industrielle nationale estimée à 22 % (direction départementale du Travail).

« Avoir un salaire régulier m’a permis d’inscrire mes deux filles à l’école secondaire privée », confie Émilienne Mbemba, opératrice de fermentation, soulignant l’impact immédiat sur l’éducation des filles et la réduction de la vulnérabilité économique des ménages dirigés par des femmes.

Biocarburants: une filière verte porteuse pour les agricultrices

L’unité Agri-hub, développée par Eni-Congo, table sur un million de tonnes d’huile végétale cette année, issue principalement du ricin et du tournesol cultivés dans un rayon de 50 kilomètres autour de Loudima.

Parce qu’elle se fonde sur des cultures à cycles courts, la filière offre une rotation des revenus appréciable pour les petits producteurs. Selon la Chambre d’agriculture, 48 % des contrats de fourniture sont aujourd’hui signés par des coopératives féminines, parfois créées pour l’occasion.

Marie-Louise Kimbembé, présidente de l’union Ngoma, explique que ces débouchés garantis « sécurisent la vente, encouragent l’épargne et réduisent la migration précoce des jeunes filles vers les villes ». Le témoignage reflète la corrélation entre stabilité des revenus et résilience communautaire.

Filière minière et cimentière: quelles opportunités pour les femmes

Le district de Mfouati accueille depuis 2019 une unité de polymétaux exploitée par Soremi, dont la capacité prévue de 20 000 tonnes de cuivre attire une main-d’œuvre spécialisée. Pourtant, seulement 12 % des techniciens identifiés à ce jour sont des femmes.

Les cimenteries de Yamba et Loutété, fortes de près de deux millions de tonnes annuelles, présentent un visage similaire: la présence féminine ne dépasse pas 15 % et se concentre dans l’administration ou la chaîne d’approvisionnement, selon l’Observatoire congolais du genre.

Des programmes de bourses en génie industriel, lancés en partenariat avec l’université Marien-Ngouabi, cherchent à inverser cette tendance. L’objectif, annoncé lors du forum « Femmes et Mines » de 2023, est d’atteindre un quota de 25 % d’ingénieures d’ici 2027.

Défis persistants: formation, sécurité et droits en milieu industriel

Malgré ces avancées, plusieurs enquêtes de notre Observatoire révèlent des lacunes en matière de sécurité au travail, de harcèlement et de conciliation des temps de vie, surtout dans les ateliers à forte densité masculine.

Le code du travail congolais impose pourtant des comités d’hygiène et d’égalité professionnelle dans toute entreprise de plus de cinquante salariés. Leur mise en œuvre reste partielle, par manque de formation syndicale et de mécanismes de signalement confidentiels, selon l’inspection du Travail.

La Direction générale de la Promotion de la femme annonce un plan triennal de sensibilisation, incluant des modules sur la prévention des violences basées sur le genre, à destination des managers de la Bouenza; une initiative que saluent les associations locales.

Vers une gouvernance inclusive du développement local

Pour maximiser l’impact social des nouvelles usines, les autorités départementales expérimentent des comités de suivi multipartites, associant chefferies traditionnelles, sociétés civiles et directions industrielles, afin de planifier l’accès à l’eau, à l’électricité et aux marchés pour les villages riverains.

Selon l’économiste Adélaïde Diawara, la participation féminine à ces instances reste « décisive pour orienter les budgets vers la santé maternelle et l’éducation des filles ». Actuellement, les femmes occupent 28 % des sièges, un ratio jugé perfectible mais inédit en zone rurale.

Dans un contexte où l’État encourage la région à devenir un couloir agro-industriel, cette démarche inclusive pourrait servir de modèle national, en démontrant que compétitivité économique et justice de genre constituent deux faces d’une même stratégie de développement durable.

Les organisations de femmes de Bouenza demandent également la création de centres de formation technique mixtes, afin de préparer les adolescentes aux métiers de la maintenance industrielle et de la robotique, des domaines encore perçus comme masculins mais indispensables au tissu industriel naissant.

Un comité interinstitutionnel, attendu en septembre, analysera les données sexuées d’emploi pour fixer des cibles de parité, alignées sur l’Agenda 2030.