Violences domestiques : les chiffres alarmants
La parole se libère à Brazzaville. Depuis plusieurs mois, des femmes de tous horizons osent dénoncer les violences subies au sein du foyer. Soutenues par un réseau d’associations et de services publics, elles illustrent une dynamique sociale décisive pour l’égalité.
Selon les données préliminaires de l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes, 63 % des plaintes enregistrées en 2023 concernent des agressions intrafamiliales, contre 51 % cinq ans plus tôt. Les spécialistes y voient autant une hausse des signalements qu’un indicateur préoccupant de prévalence.
L’étude, menée avec l’appui du ministère de la Promotion de la femme et de l’UNFPA, met également en lumière la forte proportion des victimes âgées de 18 à 35 ans. Cette tranche représente 57 % des dossiers instruits, signe d’une vulnérabilité juvénile persistante.
Cadre légal congolais : avancées et défis
La loi de 2021 sur la prévention et la répression des violences basées sur le genre constitue une avancée saluée par les juristes. Elle harmonise le code pénal avec les conventions internationales et instaure un guichet unique d’accueil psychosocial dans chaque tribunal de grande instance.
Dans la pratique, des magistrats soulignent que le délai moyen de traitement d’une affaire est passé de onze à sept mois. « La procédure s’accélère, mais la charge reste lourde pour des juridictions exsangues », observe Me Clarisse Okemba, avocate spécialisée en droit de la famille.
Le texte prévoit par ailleurs un fonds national de soutien destiné aux survivantes, financé à parts égales par l’État et ses partenaires. Les premiers décaissements, attendus ce trimestre, couvriront les frais médicaux, la relocation temporaire et des microcrédits d’autonomie économique pour les plus durement touchées.
Paroles de survivantes et rôle associatif
Marie-Louise, 29 ans, raconte avoir franchi le portail du centre d’écoute de Talangaï après une nuit d’angoisse. « J’y ai trouvé un espace sûr », dit-elle. Depuis, elle suit une thérapie de groupe et prépare un brevet de technicienne en couture industrielle grâce au programme d’insertion professionnelle local.
L’association Féminin Avenir, qui gère ce centre, a accueilli 812 survivantes en 2023, soit une hausse de 18 %. Sa présidente, Sonia Mbemba, insiste sur l’importance des campagnes mobiles : « La sensibilisation dans les quartiers périphériques reste le meilleur rempart contre la normalisation de la violence urbaine. »
Le réseau des maisons d’accueil, désormais au nombre de huit dans le pays, propose hébergement, suivi juridique et formations courtes. Grâce à un accord conclu avec l’Agence nationale de l’emploi, 37 % des résidentes ont décroché un travail dans les six mois suivant leur sortie définitive.
Réponse institutionnelle et coopération internationale
La Police spéciale de protection de la femme et de l’enfant, créée en 2022, comptabilise 2 304 interventions domiciliaires l’an dernier. Son commandant, le commissaire principal Jean-Marc Itoua, affirme que « chaque brigade départementale dispose désormais d’au moins deux agentes formées à l’accueil sensible des victimes fragiles ».
Afin de consolider ces efforts, le gouvernement a signé en janvier un protocole avec ONU Femmes, portant sur la digitalisation des plaintes. L’outil permettra d’éviter la double victimisation et d’extraire des tendances régionales en temps réel pour orienter les politiques publiques de prévention et réponse.
Les bailleurs bilatéraux soutiennent également la formation. L’ambassade du Canada finance un module sur la gestion des traumatismes, tandis que la coopération japonaise offre un laboratoire mobile de prélèvement ADN. Ces dispositifs renforcent la chaîne de preuve et rassurent les plaignantes dans les procédures judiciaires.
Perspectives d’action communautaire
Au-delà de l’aspect répressif, sociologues et leaders religieux préconisent une pédagogie communautaire. Le pasteur Emmanuel Bouesso rappelle que « briser le cycle de la violence nécessite une redéfinition des rôles de genre dès l’école primaire », principe déjà intégré aux nouveaux manuels d’éducation civique depuis 2022 effectivement.
Dans le quartier de Makélékélé, un comité de veille citoyenne a vu le jour. Ses membres, majoritairement des femmes commerçantes, organisent des patrouilles nocturnes discrètes et signalent toute situation à risque via une application gratuite mise à disposition par une start-up congolaise depuis l’an dernier.
Avec l’appui de la mairie et de la Commission nationale des droits de l’homme, ces comités seront étendus à 15 arrondissements d’ici fin 2025. Les chercheurs de l’Université Marien Ngouabi suivront l’impact à travers un indice d’empowerment féminin publié semestriellement pour orienter les financements locaux.
Enfin, la stratégie nationale 2024-2028, présentée au Sénat, met l’accent sur la prévention numérique. Une plateforme unique centralisera ressources pédagogiques, chat d’urgence et cartographie des services. Les autorités visent un million d’utilisatrices actives d’ici quatre ans, objectif jugé réaliste par les experts du secteur digital.
Les signaux convergent : la société congolaise refuse désormais l’invisibilisation de la violence domestique. Soutenue par un arsenal juridique renforcé et des initiatives citoyennes, cette mobilisation collective ouvre une voie viable vers une égalité réelle, sans opposer, mais en fédérant acteurs publics et privés durablement unis.