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Brazzaville, capitale de la France Libre

Le 15 août 2025, la République du Congo a soufflé ses soixante-cinq bougies d’indépendance, tandis que résonnait à Paris une proposition singulière : consacrer en France une journée officielle à la mémoire de Brazzaville.

Auteur de l’initiative, Marcellin Mounzéo Ngoyo, écrivain et entrepreneur installé en France, préside la Maison de la mémoire africaine, un laboratoire culturel voué à restituer la place des capitales africaines dans l’histoire mondiale.

Son plaidoyer, adressé au président Emmanuel Macron, prend appui sur quatre dates clés : l’appel du 18 juin 1940, le manifeste d’octobre 1940, la Conférence de 1944 et le décès de Félix Éboué.

Brazzaville, alors capitale de la France Libre, servit de pivot diplomatique et permit aux résistants, aux administrateurs coloniaux et aux populations locales de tisser une alliance singulière pour la liberté.

Au croisement des continents, la capitale congolaise abritait aussi un intense foisonnement artistique : jazz, photographie, presse clandestine, autant de foyers culturels où se sont illustrées de jeunes femmes reporters.

Leur contribution, longtemps invisibilisée, commence à ressortir grâce aux archives familiales numérisées par l’Institut français du Congo, initiative saluée lors du Salon du livre de Pointe-Noire en 2024.

Ces documents montrent des infirmières improvisées photoreporters, immortalisant l’arrivée de de Gaulle sur le quai du port, images reprises ensuite par la presse britannique.

Une voix congolaise porte le projet

Pour l’auteur, cette mémoire demeure marginale dans les récits scolaires français, malgré son potentiel fédérateur pour les diasporas africaines et européennes.

« Il ne s’agit pas de repentance mais de reconnaissance », rappelle-t-il, reprenant la formule présidentielle prononcée à Montpellier lors du Nouveau Sommet Afrique-France.

L’idée d’une commémoration, calquée sur les journées du Débarquement, permettrait de célébrer la contribution africaine à la libération de l’Europe sans occulter les complexités coloniales.

Du côté congolais, le Ministère de la Coopération internationale voit d’un bon œil cette diplomatie mémorielle susceptible de renforcer les liens bilatéraux et de soutenir le rayonnement de Brazzaville.

Plusieurs historiennes congolaises, telles que Joséphine Mazelou, soulignent aussi l’opportunité de mettre en avant les femmes engagées dans l’effort de guerre et dans les réseaux de ravitaillement de l’époque.

Enjeux mémoriels pour le Congo et la France

Remettre Brazzaville au centre d’une mémoire partagée répond à trois impératifs : la dignité, la cohésion sociale et l’éducation citoyenne.

Sur le plan symbolique, la démarche légitimerait le rôle des capitales africaines dans l’écriture de l’histoire contemporaine, trop souvent cantonnée aux archives européennes.

Sur le plan politique, elle favoriserait une diplomatie culturelle apaisée, conforme aux engagements de coopération signés entre Brazzaville et Paris en 2021.

Enfin, sur le plan social, une telle journée pourrait devenir un espace d’expression pour les associations féminines qui militent, à Brazzaville comme dans la diaspora, pour une mémoire inclusive.

Pour les autorités de Brazzaville, une telle redécouverte soutient également la stratégie touristique inscrite dans le Plan national de développement 2022-2026, qui mise sur le patrimoine historique comme vecteur de croissance inclusive.

Le Musée national de la Résistance, projeté sur le plateau de Mpila, devrait ouvrir d’ici 2027 et réservera un pavillon entier aux parcours féminins.

À Paris, des collectivités comme la Ville de Suresnes ont déjà proposé d’accueillir une exposition itinérante surnommée « Brazzaville-Résistance », montée en coopération avec le ministère congolais de la Culture.

Les milieux universitaires, quant à eux, envisagent des chaires croisées afin de financer des thèses sur les circulations féminines entre AEF, Caraïbes et métropole durant la Seconde Guerre mondiale.

Un premier colloque préparatoire est annoncé pour mars 2026 à l’Université Marien-Ngouabi afin de coordonner chercheurs, municipalités et associations féminines autour de la feuille de route commémorative.

Quel impact pour les femmes congolaises?

Au regard des recherches de la sociologue Émilienne Boungou, les rites commémoratifs influencent la perception que les jeunes filles se font de leur capital identitaire.

Lorsque la narration héroïque inclut les vivandières, infirmières et protectrices de civils, elle élargit les modèles d’émancipation au-delà des icônes masculines dominantes.

D’après une enquête menée en 2023 par notre Observatoire, 68 % des lycéennes brazzavilloises interrogées affirment qu’une meilleure reconnaissance du passé renforce leur confiance civique.

La perspective d’événements conjoints à Paris et à Brazzaville offrirait des plateformes d’échanges artistiques, scientifiques et économiques pilotées par des organisations féminines.

Ainsi, la commémoration deviendrait un levier de soft-power pour les femmes congolaises, capables de porter un récit national fédérateur auprès de la jeunesse.

Vers une diplomatie culturelle partagée

Paris a déjà multiplié les partenariats mémoriels, comme l’attestent la réhabilitation de la route des abolitions et la panthéonisation de Joséphine Baker.

Inscrire Brazzaville dans cette dynamique n’exige qu’un décret et un agenda partagé entre la Présidence française, les collectivités locales et l’Ambassade du Congo.

Selon l’historien Karim Fala, « le temps des commémorations sélectives touche à sa limite ; l’avenir appartient aux mémoires dialogiques, rassemblant plusieurs continents autour d’un même récit ».

En ouvrant la voie à une telle journée, Brazzaville rappellerait que la liberté, conquise au prix de toutes les forces vives, reste un bien commun dont les femmes sont aussi les gardiennes.