Voyage linguistique au cœur du Mayombe
Léonard Mboungou-Kipolo, nostalgique des années passées à Pointe-Noire, cherchait à retrouver les voisins de sa tante. Il se rappelait seulement une famille parlant un dialecte ressemblant au kiyombé. Cette question a déclenché un voyage de mémoire, d’archives familiales et de débats linguistiques passionnés.
Les souvenirs conduisent vers une branche des Bahungana installée à Les Saras, dans le massif du Mayombe. Là, Léonce Kiongo a adopté la prononciation Tchiongo, courante dans la région. Ses descendants portent ce nouveau patronyme, incarnation d’un ajustement identitaire façonné par la phonétique locale.
Des consonances qui racontent l’histoire
Plus au nord, le village kuni de Makaba se love entre la gare de Pounga et Passi-Passi, sur la route reliant Dolisie au Gabon. À l’aube des années 1980, l’infirmier d’État Gaston Kiongo y apportait soins et savoirs, tissant un pont entre médecine et culture.
Le lycéen Josaphat Kokolo, surnommé « Jo Plâtre » après une fracture sportive, passa un mois de vacances à Makaba. Au milieu des fougères du Mayombe, le jeune Mukamba découvrit une langue qu’il comprenait sans traducteur, preuve de parentés insoupçonnées entre Kuni et d’autres parlers.
Les intonations kuni de Makaba épousent la musicalité yombé et la nasalité vili. Chaque syllabe porte l’empreinte des migrations, des alliances matrimoniales et des échanges commerciaux. L’oreille attentive perçoit une histoire collective où les frontières villageoises se brouillent pour laisser place aux réseaux d’intercompréhension.
Les langues, miroirs d’identités partagées
Pour Michel Mboungou-Kiongo, cette hybridation démontre qu’une langue s’enrichit au contact de l’autre. Le journaliste confie que son métier s’est construit sur cette écoute fine, capable de relever une consonne aspirée ou une voyelle ouverte, indices de rencontres silencieuses entre les peuples.
À mesure que les décennies passent, l’auteur observe que le kuni absorbe, prête puis réinvente. Emprunts lexicaux, calques syntaxiques et variations tonales prouvent que l’immobilité serait une négation de la vie. La plasticité linguistique reflète l’ingéniosité sociale des communautés qui négocient sans cesse leur place.
Ces constats invitent à l’humilité. Avec le professeur Dominique Ngoïe-Ngalla, Michel Mboungou-Kiongo reconnaissait qu’identifier une langue originelle relève souvent du mythe. Les idiomes bantous du bassin du Kongo révèlent plutôt des strates successives, métissées, témoins d’occupations, d’exodes, de brassages et d’innovations souvent invisibles.
Transmission et ouverture : une leçon sociolinguistique
Lors d’un échange tenu en juin 2020, à Brazzaville, chercheurs et journalistes ont conclu que la notion même d’authenticité linguistique s’effrite sous l’analyse comparative. Le sundi, souche hypothétique de plusieurs parlers kongo, apparaît lui-même façonné par des influences venues du Nil et des Grands Lacs.
Comprendre le mouvement perpétuel des langues éclaire aussi les dynamiques sociales. Le modèle du Donner et Recevoir décrit par Marcel Mauss trouve ici un prolongement : chaque communauté cède des mots et en accueille d’autres, tissant des dettes symboliques qui renforcent la cohésion plutôt que la rivalité.
Les voix des femmes dans la sauvegarde linguistique
Dans ce tissage, les femmes jouent un rôle nodal. Ce sont elles qui chantent les berceuses, transmettent les proverbes et corrigent la prononciation des enfants. Par leur voix quotidienne, l’héritage immatériel traverse les générations, prouvant que la protection linguistique est aussi une cause féminine.
L’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes rappelle que la reconnaissance des langues locales participe à l’égalité. Permettre aux femmes kuni, vili ou lari de parler publiquement leur idiome renforce leur pouvoir symbolique, favorise l’accès à la justice et prévient les discriminations basées sur l’origine.
À Makaba, des ateliers communautaires montrent la voie. Des grand-mères compilent des contes sur des enregistreurs numériques, tandis que des lycéennes transcrivent puis traduisent les récits. Cette coopération intergénérationnelle illustre une pédagogie de l’estime de soi, où la technologie se met au service de la tradition.
L’expérience suggère que sauvegarder une langue, c’est aussi protéger un territoire mental contre la violence symbolique. Lorsque les mots pour dire la parenté, la fête ou la colère disparaissent, le risque d’invisibiliser les femmes augmente. Cultiver la diversité lexicale, c’est rouvrir l’espace du dialogue respectueux.
Perspectives pour une sauvegarde inclusive
Des initiatives conjuguées à Brazzaville, Pointe-Noire et dans le Kouilou misent sur des cours du soir, la radio communautaire et l’art oratoire. Elles associent autorités locales, ONG et chercheurs pour documenter, numériser et enseigner les variantes du kuni. Le soutien institutionnel demeure crucial pour pérenniser ces efforts.
En définitive, le destin d’une langue se joue dans la conversation quotidienne, jamais dans les seules bibliothèques. Chaque salutation partagée, chaque histoire racontée renouvelle le contrat social. Préserver le kuni, le yombé ou le vili, c’est entretenir la mémoire et, surtout, célébrer la créativité tranquille des Congolaises.
Retombées socio-économiques de la valorisation linguistique
Les économistes du développement insistent : une langue locale normalisée facilite la création de manuels scolaires, de produits culturels et de circuits touristiques. Ces retombées peuvent générer des revenus pour les artisanes du Mayombe, renforçant leur autonomie financière et contribuant ainsi à la lutte contre les violences structurelles.