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Flambée des « bébés noirs » à Mayanga

La nuit du 18 août à Mayanga, une foule en colère a incendié un adolescent catalogué « bébé noir ». Cet acte extrême révèle la tension sécuritaire qui traverse certains quartiers périphériques de Brazzaville et interroge la manière dont la violence impacte directement les femmes et les familles.

Selon des riverains, la victime était soupçonnée de vols répétitifs et de braquages. Faute de preuves judiciaires immédiatement mobilisables, les habitants ont opté pour la vindicte. Ce basculement dans la justice expéditive témoigne d’une défiance envers les mécanismes institutionnels pourtant disponibles pour traiter la délinquance juvénile.

Le phénomène des « bébés noirs », groupes de très jeunes délinquants issus majoritairement de milieux défavorisés, n’est pas nouveau. Depuis 2015, plusieurs opérations policières ont cherché à endiguer leur prolifération, mais la rareté de programmes sociaux pérennes favorise une reconstitution rapide des réseaux informels de prédation urbaine.

Ras-le-bol sécuritaire et justice populaire

Au-delà de l’émotion, l’incident traduit un ras-le-bol sécuritaire qui s’exprime sous forme de justice populaire. Les sociologues parlent d’« autodéfense communautaire » quand la population, se sentant délaissée, reprend à son compte la fonction régalienne de protection, quitte à dépasser le cadre légal.

Dans les ruelles de Mayanga, plusieurs mères disent redouter les sorties nocturnes de leurs filles adolescentes. Pour Philomène, vendeuse de beignets, « les cris après 20 heures gèlent le sang ». Cette anxiété permanente, souvent sous-estimée, participe à la légitimation collective de réponses violentes jugées protectrices.

Pourtant, les violences commandent d’autres violences, explique le criminologue Alain Ossiala : « Plus la riposte est brutale, plus la spirale se nourrit ». Les statistiques du Tribunal pour enfants de Brazzaville indiquent une hausse de 18 % des affaires impliquant des mineurs depuis 2021, signe d’une escalade.

Femmes en première ligne face aux violences urbaines

Les études conduites par l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes montrent que 62 % des plaintes pour agressions urbaines sont déposées par des femmes. Celles-ci sont souvent délestées de leurs moyens de subsistance — téléphones, recettes du petit commerce — mettant en péril l’économie domestique.

Lorsque la peur s’installe, elle reconfigure l’espace public genré. Nombreuses sont les femmes qui limitent leurs déplacements ou délèguent à des garçons la collecte d’eau après le coucher du soleil. En conséquence, l’invisibilisation féminine se renforce et réduit leur accès aux opportunités économiques et sociales.

La sociologue Diane Matsoua observe que « les agressions nocturnes sont un message de contrôle des corps féminins ». À ses yeux, la réponse doit intégrer une dimension de genre, faute de quoi les campagnes sécuritaires risquent de consolider un ordre urbain qui tolère l’exclusion plutôt qu’il ne la corrige.

Réponse institutionnelle et cadre légal congolais

Le chef du quartier, Emmanuel Bounzeki, a regretté la mort du jeune et plaidé pour une saisine plus systématique des forces de l’ordre. Les autorités rappellent que l’article 10 du Code de protection de l’enfant proscrit toute forme de châtiment cruel, y compris la justice populaire.

Au parquet de Brazzaville, un magistrat confirme l’ouverture d’une enquête pour homicide. « La loi doit primer, même lorsque la victime est un présumé délinquant », insiste-t-il. Cette posture illustre la stratégie gouvernementale visant à conjuguer fermeté et respect des droits humains reconnus par les conventions internationales.

Sur le plan préventif, le ministère de la Jeunesse prévoit, d’ici 2025, l’implantation de vingt centres de formation civique et professionnelle. Ces structures, inspirées des maisons de la culture existantes, proposeront apprentissage artisanal, suivi psychosocial et programmes de médiation famille-quartier, pour réduire l’attraction des groupes violents.

Prévenir plutôt que punir: pistes sociologiques

Pour plusieurs experts congolais, l’éradication du phénomène passe par une approche holistique. Elle combine sécurisation de l’espace public, politiques éducatives inclusives et lutte contre la pauvreté monétaire. Sans filet social, l’emprise des pairs délinquants demeure un refuge identitaire pour des jeunes en quête de reconnaissance.

L’Observatoire recommande que les futures maisons de formation incluent un guichet unique d’orientation pour les adolescentes victimes ou témoins d’agressions. Cette mesure favoriserait le repérage précoce de traumatismes, souvent tus, et assurerait une passerelle vers les services de santé mentale, encore trop peu accessibles en périphérie.

La participation communautaire est également centrale. À Mayanga, les femmes de l’association Tondissa ont lancé des patrouilles citoyennes non violentes, en lien avec la police de proximité. Le simple fait d’éclairer certaines artères grâce à des lampadaires solaires a fait baisser la criminalité de rue, selon elles.

Vers une culture de la sécurité inclusive

Mayanga rappelle que la sécurité est un bien collectif qui se construit avec la population, pas contre elle. En plaçant les besoins des femmes au cœur des réponses, les autorités, les ONG et les citoyens peuvent briser la logique de peur et promouvoir un espace urbain réellement partagé.

La pédagogie publique autour du droit pénal des mineurs, intégrant des séances dans les écoles, permettrait de clarifier les responsabilités et de décourager les initiatives punitives individuelles.