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Brazzaville face au défi des déchets

Chaque jour, Brazzaville rejette près d’un millier de tonnes de déchets ménagers. Ces volumes, confirmés par le ministère de l’Aménagement, saturent les points de collecte classiques et rappellent l’urgence d’une réponse locale adaptée à la morphologie urbaine.

L’accumulation prolongée d’ordures engendre prolifération de moustiques, maladies diarrhéiques et odeurs âcres. « Les plus vulnérables restent les enfants et les femmes enceintes », prévient le Dr Mayela, infectiologue au CHU, plaidant pour une action communautaire articulée autour de la salubrité.

L’absence de dessertes routières dans plusieurs ruelles empêche les camions de traverser. De jeunes habitants ont donc investi le créneau de la pré-collecte, sillonnant les quartiers avec brouettes, pousse-pousses ou tricycles motorisés pour récupérer les sacs déposés devant chaque concession.

Jeunesse au cœur d’une économie circulaire

Avec un chômage de 48 %, la jeunesse voit dans ce service facturé 100 à 200 FCFA par ménage une source régulière de revenus. À la fin du mois, certains gagnent un salaire supérieur au SMIG informel.

« Je gagne désormais assez pour payer mon loyer et les frais de transport », témoigne Cédric, 24 ans, rencontré à Makélékélé. Son ambition est simple : transformer sa petite équipe en coopérative légale afin d’obtenir du matériel de protection normalisé et des contrats stables.

Les femmes s’invitent dans la pré-collecte

Longtemps masculine, la pré-collecte s’ouvre maintenant aux Congolaises. On aperçoit dans les rues de Moungali des chasubles roses portées par des étudiantes interrompant leurs cours faute de bourses. Elles convertissent leur force et leur résilience en capital social visible.

« Ramasser les déchets n’est pas dégradant ; c’est protéger mes voisins et mon avenir », affirme Prisca, 22 ans, gantée jusqu’aux coudes. Grâce à ses revenus, elle finance un stage en maintenance informatique et contribue aux achats alimentaires de sa famille.

Le regard social évolue. Plusieurs chefs de quartier invitent désormais les pré-collectrices aux réunions locales, reconnaissant leur rôle sanitaire. Cette visibilité réduit les stéréotypes liés aux métiers dits “sales” et ouvre un espace de participation citoyenne élargi aux femmes.

Impact sanitaire et social mesurable

Les effets bénéfiques se lisent aussi dans les centres de santé. Les consultations pour paludisme ou gastro-entérite diminuent légèrement depuis deux ans, selon un rapport interne de la direction départementale, qui impute cette baisse à la réduction d’eaux stagnantes autour des maisons.

Pour les ménages, la corvée de décharge, souvent assumée par les mères, disparaît. Le temps économisé est réinvesti dans des activités génératrices de revenus, du petit commerce à la couture, renforçant ainsi l’autonomie financière féminine déjà fragile dans les quartiers populaires.

Des ruelles libérées des tas d’ordures sont mieux éclairées et plus sûres la nuit, rappellent des associations de prévention. Moins d’obstacles signifie aussi moins de cachettes potentielles pour les auteurs d’agressions de rue, un facteur crucial pour la sécurité des femmes.

Cadre réglementaire et partenariats dynamiques

Conscientes des enjeux, les autorités municipales intègrent désormais la pré-collecte dans le Programme local de gestion des déchets. Un arrêté de 2023 précise les normes d’hygiène, encourage la création de micro-entreprises et prévoit des formations courtes en tri primaire.

L’entreprise Albayrak, concessionnaire officiel, collabore avec ces équipes de proximité pour acheminer les déchets vers la décharge publique. « Nos chauffeurs gagnent du temps et du carburant », souligne son responsable logistique, insistant sur la complémentarité plutôt que la rivalité.

Parallèlement, le PNUD appuie quelques associations féminines de Bacongo par des micro-subventions destinées à acheter des tricycles à assistance électrique. Ce soutien international renforce la visibilité du secteur et alimente la réflexion sur une transition énergétique à échelle communautaire.

Perspectives d’autonomisation durable

Des modules de perfectionnement proposés par l’Institut national de la formation sociale couvrent désormais le compostage et la valorisation du plastique. Les diplômé(e)s peuvent convertir une partie des collectes en briques écologiques ou en engrais, créant ainsi une seconde source de profits.

Le recours à des applications mobiles pour la facturation sécurise les transactions et limite les pertes. Orange Money ou MTN Mobile Money permettent aux clientes d’éviter les paiements en espèces, pratique saluée par la brigade de gendarmerie pour réduire les braquages.

L’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes recommande d’instaurer un quota de 40 % de femmes dans les coopératives de pré-collecte. Cette mesure offrirait un accès équitable aux marchés publics et consoliderait la dimension genre des politiques environnementales.

Pour la sociologue Clarisse Itoua, « l’émergence d’un travail écologique féminin modifie la répartition symbolique des tâches ». Dans un espace post-urbain encore marqué par le patriarcat, la visibilité des pré-collectrices agit comme un laboratoire vivant d’égalité économique.

Si la chaîne complète – tri, transformation, recyclage – se structure, Brazzaville pourrait convertir un ancien problème sanitaire en secteur porteur d’emplois verts inclusifs. D’ici là, chaque brouette poussée dans les ruelles pavées annonce déjà la promesse d’une ville respirable.