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Les chiffres d’une urgence silencieuse

En République du Congo, les violences faites aux femmes ne se limitent plus aux statistiques; elles traversent les salons, les hôpitaux et les médias. Selon la dernière enquête de l’Institut national de la statistique, une femme sur trois déclare avoir subi un acte violent l’an passé.

Si l’on observe une progression de la sensibilisation, la courbe des signalements grimpe de 12 % en 2023, démontrant une libération partielle de la parole. Les zones urbaines concentrent 60 % des dépôts de plainte, mais les experts s’inquiètent d’un sous-rapportage massif en zones rurales.

Encourager la parole et protéger les victimes

Face à ce constat, les centres d’écoute municipaux, ouverts depuis deux ans à Brazzaville, jouent un rôle pivot. « Nous recevons en moyenne huit survivantes par jour, contre trois l’an dernier », explique Élise Moutala, psychologue clinicienne, soulignant l’importance d’un accueil dépourvu de jugement.

Pour renforcer cette dynamique, le ministère de la Promotion de la femme a doublé le budget alloué aux lignes vertes d’assistance. Ces plateformes téléphoniques, actives 24 heures sur 24, orientent désormais les appelantes vers des foyers d’hébergement sécurisés, limitant les retours forcés au domicile conjugal.

Partenariats institutionnels porteurs d’espoir

Les accords de coopération signés avec l’UNFPA et ONU Femmes ont introduit des cliniques mobiles sillonnant le Pool et la Likouala. Elles proposent soins post-traumatiques et assistance juridique gratuite. D’après la coordinatrice Esther Samba, 1 700 dossiers ont été instruits depuis janvier, « un tournant décisif pour l’accès au droit ».

Le gouvernement appuie ces actions par le déploiement de magistrats référents spécialement formés. Trois tribunaux pilotes ont réduit de moitié la durée moyenne des procédures. Maître René Ehemba, barreau de Brazzaville, salue « une évolution qui rétablit la confiance des femmes dans l’appareil judiciaire national ».

Témoignages, visages d’une résistance

Derrière les chiffres, il y a Nina, 27 ans, enseignante. Elle raconte avoir quitté Mikalou pour un abri d’urgence après une agression répétée. « J’ai vu enfin des policières me croire », dit-elle d’une voix posée. Son dossier est aujourd’hui devant la chambre correctionnelle de Pointe-Noire.

La sociologue Mireille Ngolo voit dans ces trajectoires un « déplacement du stigma vers l’agresseur ». Selon son enquête menée dans trois districts, 58 % des familles soutiennent désormais la plaignante, contre 29 % en 2018, signe d’un changement culturel encore fragile mais réel.

Innovations communautaires et numériques

De nouvelles solutions émergent aussi dans le numérique. L’application mobile Kiese, lancée par deux ingénieures de Dolisie, permet d’envoyer discrètement une alerte géolocalisée à cinq contacts fiables. Plus de 4 000 téléchargements ont été enregistrés en six mois, avec déjà 300 interventions policières déclenchées.

Parallèlement, des radios communautaires réservent des plages d’antenne au récit des survivantes. Ces formats intimes, diffusés en lingala et en kituba, donnent chair aux statistiques. « Entendre sa langue maternelle briser le silence a un effet thérapeutique puissant », observe le psychiatre César Banzouzi, consultant pour Médecins du Monde.

Législation, un chantier dynamique

Sur le plan normatif, la révision du Code pénal de 2022 a introduit la notion de violence économique et inscrit le harcèlement au travail comme délit autonome. Le projet de loi sur la prise en charge intégrale des victimes, examiné au Sénat, pourrait encore élargir le spectre des protections.

Toutefois, le manque de formations continues pour la police rurale retarde l’application pleine de ces textes. Le colonel Odilon Moukassa annonce l’arrivée, la semaine prochaine, de modules e-learning réalisés avec l’École nationale de police afin de diffuser une culture d’intervention centrée sur la victime.

Éducation, vecteur de transformation

L’école, justement, devient un terrain stratégique. Les programmes d’éducation civique incluent désormais des séances consacrées au consentement et à l’égalité de genre dès le collège. Des clubs mixtes de débat, inspirés de modèles rwandais, se multiplient et servent de baromètre des attitudes adolescentes envers la violence.

« J’ai vu des garçons corriger leurs camarades lors d’exercices de rôle », se réjouit Floride Tchicamboud, inspectrice académique. Pour elle, la pérennité du changement passe par une école outillée, mais aussi par l’implication des parents. Des comités de quartier relaient désormais ces messages lors des assemblées générales.

Défis persistants et perspectives

Malgré ces avancées, les associations déplorent le manque de ressources pour les provinces enclavées. Le transport des victimes vers les chefs-lieux reste coûteux et périlleux. L’Observatoire national propose un fonds de solidarité alimenté par une taxe sur les compagnies téléphoniques, actuellement à l’étude au ministère des Finances.

Les économistes estiment qu’un investissement d’un milliard de francs CFA par an réduirait de 20 % les coûts sanitaires liés à la violence. En d’autres termes, la prévention aurait un rendement social positif dès la troisième année, argument susceptible d’attirer les bailleurs internationaux en quête d’impact mesurable.

En définitive, la mobilisation conjointe des pouvoirs publics, de la société civile et des partenaires étrangers montre qu’une trajectoire de progrès est enclenchée. Reste à l’inscrire dans la durée, pour qu’aucune Congolaise ne soit plus contrainte de choisir entre silence et survie.