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Un septuagénaire aux commandes du GODF

Élu le 21 août 2025 à Bordeaux, Pierre Bertinotti devient, à 72 ans, le trente-troisième Grand Maître du Grand Orient de France. Professeur d’économie à CentraleSupélec et ancien haut fonctionnaire, il succède pour un an à Nicolas Penin.

Devant les délégués, il a plaidé pour une « refondation du pacte social », citant les défis de la pauvreté, de l’intelligence artificielle et du changement climatique. Un programme qui, de l’avis des observateurs, dépasse largement l’Hexagone.

Des loges au cœur du lien Paris-Afrique

Depuis les indépendances, les loges du GODF à Dakar, Abidjan, Libreville ou Brazzaville ont servi de sas d’entrée vers la haute administration et les affaires. L’initiation maçonnique, rite républicain importé, a longtemps assuré la circulation de cadres entre les deux rives.

Un ancien ministre sénégalais confie, sous anonymat, que les temples sont « des espaces de parole où se nouent discrètement des partenariats économiques ». Les diplomates, eux, y voient encore un canal d’échanges complémentaire aux chancelleries.

Soft power français face aux puissances émergentes

L’Afrique francophone de 2025 n’est plus celle des années 1980. La Chine, la Russie, la Turquie et les Émirats multiplient les partenariats universitaires, militaires ou religieux. Dans ce maelström, la franc-maçonnerie reste l’un des derniers vecteurs d’influence culturelle française, discret mais résilient.

Pour Bertinotti, maintenir la visibilité du GODF équivaut à préserver une tradition universaliste. « Nos valeurs humanistes appartiennent à tous », répète-t-il. Reste à les articuler avec la souveraineté accrue des États africains.

Le Congo-Brazzaville, maillon stable du réseau

À Brazzaville, la loge « Fraternité Congolaise » réunit depuis des décennies hauts cadres administratifs, juristes et entrepreneurs. Ses activités, encadrées par la législation nationale, s’inscrivent dans le paysage institutionnel sans rivaliser avec les pouvoirs publics.

La politologue Patricia Ngoma rappelle que « les autorités congolaises considèrent la franc-maçonnerie comme un espace civil complémentaire, non comme une opposition ». La stabilité du cadre légal favorise ainsi la tenue régulière de tenues et de colloques citoyens.

Course contre la montre pour Bertinotti

Le mandat du Grand Maître ne dure qu’un an. Il lui faut donc animer un réseau vieux de plus de deux siècles tout en le modernisant. Objectif prioritaire : accroître la représentation féminine et rajeunir les effectifs, notamment en Afrique où la démographie est dynamique.

Selon le sociologue béninois Léon Hounkpatin, « la promotion des femmes dans les loges créera de nouveaux relais sociétaux, susceptibles d’influer positivement sur les politiques publiques, notamment en matière d’égalité ».

Influence et gouvernance économique

La spécialité de Bertinotti, l’économie publique, attire l’attention des banquiers centraux et des ministères des Finances d’Abidjan à Yaoundé. Séminaires fermés et groupes d’études maçonniques pourraient redevenir des laboratoires de réflexion sur la dette, la numérisation et la monnaie locale.

Cela s’inscrit dans un paysage régional où les banques centrales cherchent des idées neuves pour concilier stabilité macro-économique et développement social. Les loges se positionnent alors comme incubateurs de propositions techniques.

Entre ouverture sociétale et image d’opacité

Les critiques portent souvent sur le caractère fermé des travaux maçonniques. Pour répondre, le GODF annonce une série de conférences publiques en Afrique centrale, dont une étape prévue à Pointe-Noire avec des universitaires congolais.

L’objectif déclaré est de replacer la franc-maçonnerie dans le débat citoyen. « La transparence sera le moteur de la confiance », assure Bertinotti, conscient qu’un réseau clandestin ne peut prospérer durablement à l’ère des réseaux sociaux.

Quels impacts pour les politiques de genre ?

Au Congo-Brazzaville, les organisations de défense des droits des femmes observent ces dynamiques avec attention. L’intégration d’expertes dans les loges pourrait faciliter l’agenda législatif sur la protection contre les violences faites aux femmes.

Marguerite Makosso, juriste et membre du Conseil consultatif de la femme, se dit « ouverte à toute plateforme, maçonnique ou non, qui promeut l’égalité dans les sphères décisionnelles ». Les loges pourraient ainsi devenir des alliées inattendues.

Une sociabilité concurrentielle mais complémentaire

La montée en puissance d’associations panafricaines, d’églises évangéliques transnationales et de clubs d’affaires chinois redessine la carte de la sociabilité élitaire. Les loges du GODF, fortes de leur histoire, misent sur la complémentarité plutôt que sur la confrontation.

Elles proposent un espace de débats laïques et multiconfessionnels, valorisant une éthique de la raison. Ce positionnement séduit encore juristes et ingénieurs formés dans les écoles francophones, sans pour autant exclure les autodidactes reconnus pour leur leadership.

Perspectives pour l’année en cours

Le calendrier du GODF prévoit la publication, en mars 2026, d’un rapport sur « Valeurs républicaines et mutations africaines ». Des ateliers collaboratifs, dont un à l’Université Marien-Ngouabi, devraient nourrir ce document stratégique.

Si la diplomatie d’influence reste en filigrane, c’est la réflexion intellectuelle qui est mise en avant. Bertinotti insiste sur « l’héritage des Lumières, adapté aux réalités contemporaines », formule qui résonne à Brazzaville où l’éducation et la cohésion nationale demeurent prioritaires.