Brazzaville, un symbole franco-africain
Au moment où le Congo célèbre soixante-cinq ans d’indépendance, la proposition d’inscrire Brazzaville dans le calendrier commémoratif français relance le débat sur la place des villes africaines dans les récits transnationaux. Au-delà du symbole, la mesure pourrait renforcer des solidarités concrètes, notamment en faveur des femmes.
Adressée à Paris par le président de la Maison de la Mémoire Africaine, Marcellin Mounzéo-Ngoyo, l’initiative vise officiellement à « reconnaître » le rôle de la capitale congolaise dans l’histoire mondiale sans exiger de réparation. Cette nuance, soulignée dès Montpellier en 2021 par Emmanuel Macron, mérite examen.
Les diplomates congolais, soucieux d’un partenariat équilibré, y voient une occasion de conjuguer mémoire partagée et coopération économique. Du côté français, certains élus évoquent déjà une journée potentiellement insérée entre le 8 Mai et le 18 Juin, deux repères hautement symboliques pour l’Hexagone.
Les racines historiques d’une reconnaissance
Historiens et historiennes rappellent que Brazzaville servit de capitale de la France libre en 1940-1943, hébergeant le général de Gaulle et les Forces françaises libres. Cette centralité géopolitique demeure méconnue. Pour la chercheuse Gisèle Moukoubou, « la commémoration offrirait un levier pédagogique pour nos lycées ».
En 1944, la conférence de Brazzaville posait pourtant les premières réformes destinées aux colonies françaises, amorçant le lent processus menant aux indépendances. Une date française consacrée à Brazzaville consoliderait cette trame historique, sans remise en cause des équilibres politiques actuels entre Paris et Brazzaville.
Du point de vue mémoriel, plusieurs capitales africaines disposent déjà de journées dédiées dans d’autres pays. Kigali est célébrée en Belgique depuis 2004. Dakar s’inscrit régulièrement dans le calendrier culturel de Marseille. Brazzaville gagnerait ainsi une visibilité similaire, utile aux échanges touristiques et universitaires.
Diplomatie culturelle et inclusion des femmes
La Maison de la Mémoire Africaine, laboratoire associatif créé à Pointe-Noire, défend une diplomatie culturelle fondée sur les principes de respect et de transmission. Son directeur insiste sur la capacité des commémorations à fédérer les diasporas autour de projets concrets, allant de résidences d’artistes à des programmes éducatifs.
Dans un entretien accordé à notre rédaction, la sociologue Armelle Ibata rappelle que la diplomatie culturelle n’est efficace que si elle intègre la dimension genre. « Les femmes congolaises de France, souvent invisibles, trouveraient dans cette journée une tribune pour valoriser leur engagement associatif », affirme-t-elle.
Les associations féminines de Brazzaville y voient également un moyen de renforcer les coopérations techniques. Un festival annuel, financé par des collectivités françaises, pourrait former des jeunes femmes aux métiers du patrimoine immatériel, du numérique à la médiation. Une telle synergie s’inscrirait dans les objectifs du Plan national genre.
Genre et mémoire partagée
Inscrire Brazzaville dans le registre commémoratif français ouvre la voie à une redéfinition du récit colonial sous l’angle des contributions féminines. Des archives témoignent du rôle des infirmières congolaises auprès des Forces françaises libres. Leur histoire reste à écrire, soulignent les chercheuses de l’université Marien-Ngouabi.
La parité dans la mémoire publique demeure un impératif contemporain. En Europe, moins de 10 % des journées nationales évoquent explicitement des figures féminines. Instituer la date de Brazzaville pourrait être l’occasion d’honorer Joséphine Bouanga, résistante méconnue, ou encore la journaliste Andrée Nzetéba, pionnière de l’information radio.
Pour les militantes des droits humains, la résonance internationale d’une telle commémoration favoriserait l’accès aux financements multilatéraux destinés à la protection des femmes. « La visibilité attire les bailleurs », explique Clarisse Malonga, coordinatrice de la plateforme Agir pour Elles, qui plaide pour des projets axés sur l’éducation civique.
Analyses d’expertes et perspectives civiles
L’économiste Émilienne Opango estime que la nouvelle journée pourrait stimuler le tourisme mémoriel, source d’emplois féminins durables dans l’hôtellerie, la traduction et le guidage. Selon ses projections, un accroissement de 5 % des arrivées européennes générerait cent cinquante postes en milieu urbain, dont deux tiers occupés par des femmes.
Pour la juriste Reine Samba, la dimension législative mérite toutefois vigilance. Le projet de loi français devrait s’appuyer sur une consultation bilatérale afin d’éviter les écueils d’une décision unilatérale. « Une mémoire partagée se construit à deux voix », insiste-t-elle, saluant le climat de confiance instauré entre les chancelleries.
Au Congo, plusieurs organisations de défense des femmes envisagent déjà des ateliers préparatoires, axés sur la collecte de récits familiaux. L’objectif consiste à alimenter, d’ici à deux ans, un fonds d’archives orales disponible à Brazzaville et à Paris. Ce chantier consolidera la coopération scientifique interuniversitaire.
En définitive, la création d’une journée française dédiée à Brazzaville apparaît comme un vecteur d’unité et d’opportunités, sans portée contestataire. Elle pourrait, sous l’impulsion conjointe des autorités et de la société civile, renforcer la visibilité des initiatives féminines, améliorer la compréhension historique et stimuler un développement partagé.