Une menace sanitaire féminine sous-estimée
À Dolisie, les étals improvisés de médicaments attirent chaque jour des files de femmes venues chercher antibiotiques, contraceptifs et sirops. Le gain de temps, le prix inférieur et la proximité séduisent, mais la composition incertaine de ces produits met en péril leur santé reproductive et familiale.
Les sages-femmes du centre hospitalier préfectoral observent une hausse d’infections post-partum liées à des traitements achetés au marché. Elles évoquent également des interruptions involontaires de grossesse provoquées par des comprimés inconnus, vendus comme simples antidouleurs.
Facteurs socio-économiques favorisant la rue
Le salaire moyen à Dolisie dépasse rarement quatre-vingt-dix mille francs CFA, tandis qu’un antibiotique acheté en officine peut coûter plus de six mille, soit trois jours de revenu pour de nombreuses ménages. La décision d’acheter au marché relève donc d’une rationalité économique compréhensible.
La distribution territoriale des pharmacies reste inégale. Les quartiers périphériques de la capitale du Niari comptent parfois une seule officine pour dix mille habitants, situation qui pousse les mères à parcourir plusieurs kilomètres ou à céder aux vendeurs ambulants installés près des arrêts de bus.
Enfin, les normes culturelles valorisent l’automédication rapide pour soigner enfants et conjoint. Des formules comme « se débrouiller » ou « faire avec les moyens du bord » encouragent l’achat immédiat, sans consultation médicale, renforçant le succès des mini-pharmacies de rue.
Efforts des autorités et cadre légal
Depuis 2014, le gouvernement a multiplié les saisies de cargaisons illicites et les opérations coup de poing dans les marchés, selon la Direction générale de la pharmacie. Des affiches pédagogiques expliquent désormais les dangers, et les contrevenants encourent des amendes renforcées.
En août 2024, l’Organisation mondiale de la santé a salué l’action du président Denis Sassou Nguesso contre les faux médicaments. Cette distinction conforte la stratégie nationale qui combine surveillance douanière, promotion des génériques de qualité et coopération régionale pour assécher les filières clandestines.
Cependant, les capacités d’inspection demeurent limitées. La brigade pharmaceutique mobile basée à Brazzaville ne couvre pas toujours les trois cents kilomètres séparant la capitale de Dolisie, ce qui laisse des brèches dans la chaîne de contrôle et permet aux produits douteux d’atteindre les marchés locaux.
Voix des professionnels de santé
Le docteur Mireille Loufoua, infectiologue à l’hôpital général, souligne que « la résistance aux antibiotiques s’aggrave parce que les femmes interrompent leur traitement lorsqu’elles achètent une posologie incomplète ». Elle demande un renforcement de l’éducation thérapeutique auprès des patientes.
Pour la pharmacienne Sonia Ngatsé, la solution passe par la baisse des prix en officine : « Un antipaludique dont le prix reste aligné au tarif international ne quitte pas les rayons, faute de moyens. Le marché noir prospère à partir de cette différence ».
Les organisations féminines, telles que Femmes Solidaires Niari, relèvent que l’enjeu n’est pas seulement sanitaire mais aussi égalitaire. L’accès à un médicament sûr constitue un droit fondamental, condition de la participation des femmes à l’économie et à la vie citoyenne.
Solutions communautaires et pistes d’avenir
Depuis six mois, un projet pilote de tontine pharmaceutique réunit cinquante vendeuses de poisson du marché central. Chaque semaine, elles versent une petite cotisation qui finance l’achat groupé de médicaments certifiés auprès d’une pharmacie partenaire, réduisant le recours aux étals informels.
Le même programme organise des causeries éducatives animées par des infirmiers. Les discussions portent sur la lecture d’une notice, la reconnaissance d’un hologramme de sécurité, et l’importance de terminer un traitement. Les premières évaluations montrent une baisse des automédications dangereuses.
La mairie étudie par ailleurs l’implantation d’une pharmacie municipale à prix maîtrisé, couplée à un service de télé-conseil pour les quartiers excentrés. Cette innovation, soutenue par le ministère de la Santé, pourrait réduire la distance géographique entre les femmes et un conseil pharmaceutique qualifié.
À moyen terme, la diversification des points de vente légaux, via des dépôts ruraux gérés par des techniciens formés, est envisagée. Inspirée du modèle rwandais, cette approche offrirait des médicaments abordables tout en restant sous le contrôle de la chaîne d’approvisionnement officielle.
Lutter contre les pharmacies sauvages ne relève donc pas seulement de la répression. Il s’agit de consolider le pouvoir d’achat, de fluidifier la distribution et de diffuser la culture du médicament sûr. La santé et la dignité des femmes de Dolisie en dépendent.