Une nomination stratégique pour MTN
La désignation de Karl Toriola, jusqu’ici directeur général de MTN Nigeria, comme vice-président chargé de l’Afrique francophone, marque une inflexion majeure dans la stratégie du premier opérateur télécom continental. Le dirigeant aura notamment la responsabilité de quatre marchés en plein essor, parmi lesquels le Congo-Brazzaville.
Selon le groupe, cette nomination doit accélérer l’innovation, la pénétration des services numériques et la diversification des revenus dans des zones où la demande en connectivité demeure vive. Les observateurs saluent un profil rompu aux arbitrages complexes des secteurs régulés et multilingues.
Répercussions attendues au Congo-Brazzaville
Le marché congolais, fort de plus de six millions de cartes SIM actives, représente un terrain d’expansion critique. MTN y détient environ 40 % des parts, devant Airtel. La stabilisation macroéconomique récente et les réformes réglementaires offrent un environnement propice au déploiement de nouveaux services.
Dans un communiqué, MTN Congo souligne que la nouvelle gouvernance se traduira par des investissements dans la 4G, la fibre et les solutions financières mobiles. Ces chantiers s’alignent sur les priorités gouvernementales visant à renforcer l’infrastructure numérique et l’accès des populations aux services bancaires.
Inclusion numérique des femmes : opportunité ou défi ?
Au Congo, l’écart d’usage numérique entre les hommes et les femmes reste estimé à près de 15 % par l’Union internationale des télécommunications. Les contraintes économiques, la littératie digitale et les normes socioculturelles freinent toujours la pleine participation féminine aux plateformes mobiles.
Pour Elodie Mombouli, sociologue à l’Université Marien-Ngouabi, « l’arrivée d’un vice-président dédié à la zone peut ouvrir un dialogue spécifique autour des besoins des utilisatrices, à condition d’intégrer la voix des associations locales dès la phase de conception des services financiers mobiles ».
De son côté, la plateforme Femmes & TIC rappelle que les applications de transfert d’argent de MTN sont massivement employées pour percevoir des revenus informels. Une ergonomie simplifiée, des menus en lingala et des tarifs préférentiels sur les micro-transactions constitueraient d’importants leviers d’empouvoirement.
Vision régionale et impératifs de gouvernance
Karl Toriola n’est pas un inconnu dans la sous-région ; il a déjà supervisé les filiales du Cameroun et du Bénin. Les analystes soulignent sa capacité à dialoguer avec les régulateurs francophones, atout essentiel pour harmoniser les cadres tarifaires et favoriser l’interopérabilité des services mobiles money.
Le groupe a fixé des objectifs mesurables : augmentation de huit points du taux de pénétration des smartphones d’ici trois ans, transition vers un réseau majoritairement alimenté en énergies renouvelables et formation de 10 000 femmes entrepreneuses au commerce en ligne dans la zone francophone.
Cette approche se veut alignée sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine et sur la Stratégie nationale congolaise pour le développement du numérique. Elle conforte les orientations du ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique en matière d’inclusion sociale.
Conséquences pour l’emploi féminin
L’expansion prévue du réseau pourrait créer plusieurs centaines d’emplois directs, notamment dans la maintenance des antennes, la relation client et la distribution mobile money. Or, selon la Fédération des sociétés de télécoms, les femmes représentent encore moins de 30 % des effectifs techniques au Congo.
MTN affirme vouloir doubler la proportion de femmes dans ses services d’ingénierie d’ici 2027. Un programme de mentorat, piloté en partenariat avec l’Université Denis Sassou Nguesso de Kintélé, est à l’étude pour repérer des talents féminins dès la deuxième année de licence.
Retombées macroéconomiques et sociales
La Banque mondiale estime que chaque augmentation de dix points de la couverture haut débit se traduit par une hausse moyenne de 1,5 % du PIB dans les économies à revenu intermédiaire. Pour le Congo-Brazzaville, où le secteur pétrolier domine, la diversification devient cruciale.
L’amélioration de la connectivité accroît aussi la capacité des femmes entrepreneuses à toucher des marchés régionaux. Des études menées par la CEA montrent que les entreprises tenues par des femmes connaissant un accès continu à Internet génèrent jusqu’à 34 % de revenus supplémentaires.
Pour autant, la durabilité des gains dépendra d’une articulation fine entre politiques publiques, initiatives privées et formation. Les partenaires de développement préconisent un cadre incitatif encourageant les opérateurs à investir dans les zones rurales, où résident 60 % des Congolaises.
Regards d’expertes et perspectives
Interrogée, Viviane Okemba, présidente de la plateforme Observatoire national congolais des violences faites aux femmes, se dit confiante : « La transformation digitale peut devenir un accélérateur d’autonomie si l’on sécurise les transactions et si l’on sensibilise sur les cyber-violences qui ciblent en majorité les femmes ».
À court terme, un comité de suivi multi-acteurs, associant opérateurs, autorités et société civile, pourrait baliser la mise en œuvre des objectifs d’inclusion. L’efficacité de la nomination de Karl Toriola se mesurera alors à la capacité de MTN à traduire ses ambitions en gains concrets pour les Congolaises.
MTN publiera, au premier trimestre 2025, un rapport sur la réduction de l’écart d’usage selon le genre. Les organisations féminines souhaitent y trouver des indicateurs clairs, du coût effectif du gigaoctet à la portée des programmes de formation.