Nazisme ou nuance ? Le verbe qui fâche Brazzaville

Tempête verbale et mémoire historique

La semaine dernière, la sphère politique brazzavilloise a été secouée par une déclaration du président du Rassemblement pour la démocratie et le développement, Jean Jacques Serge Yhombi Opango, assimilant le régime congolais aux expériences totalitaires européennes du XXᵉ siècle. Dans la foulée, le Club 2002-Parti pour l’unité et la République, par la voix de son secrétaire général Juste Désiré Mondélé, a vigoureusement récusé toute analogie avec le nazisme ou le fascisme, rappelant “la souffrance des peuples que ces idéologies ont fait naître” et soulignant que la comparaison relève d’“une offense à l’histoire” (déclaration publique, 13 juillet 2024). Cette passe d’armes, au-delà du choc sémantique, convoque un enjeu plus profond : celui du rapport entre mémoire collective, liberté d’expression et responsabilité citoyenne.

Responsabilité collective face aux discours extrêmes

Dans un contexte où la démocratie congolaise repose sur la pluralité d’opinions, les mots employés par les acteurs publics façonnent la perception des institutions. Plusieurs politologues estiment que recourir à des références extrêmes produit un effet de sidération qui fige le débat plutôt qu’il ne l’alimente. « La radicalité lexicale n’est pas un simple glissement rhétorique ; elle prépare psychologiquement le terrain aux logiques d’exclusion », observe la professeure de sociologie politique Émilie Mabika, université Marien-Ngouabi, évoquant les travaux de Norbert Elias sur la violence symbolique. Le Club 2002, formation issue de la majorité présidentielle, insiste de son côté sur la nécessité de préserver un “climat de dialogue” avant l’échéance électorale de 2026, rappelant que la pluralité partisane ne saurait justifier la banalisation d’idéologies portant historiquement la négation de l’humain.

Femmes en première ligne des fractures sociales

L’Observatoire congolais des violences faites aux femmes perçoit cette escalade verbale comme un signal d’alarme : les périodes de crispation politique se traduisent souvent par une hausse des violences genrées, qu’elles soient domestiques ou communautaires. La chercheuse Mahouna Boukono rappelle que « les femmes sont, par leur position centrale dans les réseaux familiaux, les sentinelles des tensions sociales. Quand l’espace public se polarise, les violences privées s’intensifient, et cela se constate empiriquement depuis les crises des années 1990 ». Ainsi, l’enjeu n’est pas seulement la correction d’un vocabulaire jugé excessif, mais la prévention d’un engrenage où la parole violente précède la violence tout court.

Cadres légaux et initiatives institutionnelles

Sur le plan normatif, la Constitution consacre à la fois la liberté d’expression et les impératifs d’ordre public. Le code pénal révisé en 2022 sanctionne explicitement la provocation à la haine ou à la violence. Interrogée sur la portée de ces dispositions, la magistrate Monique Tchibota rappelle que « la judiciarisation n’est qu’un volet ; la régulation sociale repose aussi sur l’autorégulation des acteurs politiques ». À cet égard, le Conseil supérieur de la liberté de communication a intensifié ses ateliers de sensibilisation à destination des médias et des partis, insistant sur la vigilance terminologique à l’approche des échéances électorales. De son côté, le ministère de la Promotion de la Femme poursuit la campagne “Parole Responsable”, destinée à déconstruire les stéréotypes sexistes dans le discours public.

Voix de la société civile pour la réconciliation

Plusieurs organisations féminines, dont les collectifs Mwinda na Biso et Femmes Debout, ont réagi par des tribunes appelant à “désamorcer la guerre des adjectifs” et à replacer la question sociale au cœur du débat. Elles rappellent que les priorités quotidiennes des Congolaises – accès à l’eau potable, autonomisation économique, sécurité routière pour les marchandes – sont reléguées au second plan lorsque la scène publique se crispe autour d’invectives. Dans un communiqué commun, ces organisations saluent toutefois l’engagement réitéré du chef de l’État en faveur de “l’unité nationale, socle des progrès futurs”, considérant que la stabilité politique demeure une condition sine qua non pour l’aboutissement des politiques de genre.

Vers une rhétorique politique apaisée

À l’aube de la campagne présidentielle, la controverse entre le Club 2002-PUR et le RDD pourrait servir de catalyseur à une autoreflexion collective : si les idéologies extrêmes appartiennent au passé européen, pourquoi leur ombre hante-t-elle encore le vocabulaire africain ? En réaffirmant les limites de la liberté d’expression, les acteurs institutionnels rappellent que le mot est un acte. Pour les femmes congolaises, premières garantes de la paix domestique et communautaire, la vigilance demeure. Toutefois, l’ouverture de forums multipartites et la multiplication d’espaces de dialogue, appuyés par un volontarisme gouvernemental affiché, laissent entrevoir la possibilité d’une campagne électorale plus sobre, recentrée sur les politiques publiques et le bien-être des citoyennes. Au-delà des joutes oratoires, l’avenir de la cohésion nationale dépendra de la capacité de chaque acteur à conjuguer le verbe au service de l’intérêt général plutôt qu’à l’imparfait de la division.