Crampons et cohésion sociale
Sous un soleil d’hivernage, le sifflet a retenti le 6 août au stade Ornano et les tribunes ont vibré : seize équipes U13 et U20 ont lancé un tournoi emblématique, voulu comme un rempart sportif face aux tentations de la rue et des dérives numériques.
Le colonel-major Hugues Ondongo, maillot sur l’épaulette, parle de « acte de foi envers la jeunesse ». Derrière la formule, une lecture sociologique consensuelle : la socialisation par le sport inculque règles, respect et solidarité, autant d’antidotes à la délinquance observée dans certains quartiers périphériques.
Un partenariat institutionnel mobilisateur
En coulisses, le Commandement des forces de police, le Club omnisports de Brazzaville et le ministère de l’Enseignement technique et professionnel signent un triptyque rare : sécurité, encadrement et pédagogie. Le ministre Ghislain Thierry Maguessa Ebomé a donné le coup d’envoi, cautionnant publiquement l’investissement étatique dans la prévention.
La présence du général André Fils Obami Itou rappelle que l’institution policière n’est pas seulement coercitive. « Nous voulons être proches des jeunes avant d’être répressifs », confie-t-il en marge de la pelouse. Ce déplacement s’inscrit dans la doctrine de police de proximité impulsée depuis plusieurs années.
Format sportif et portée éducative
Le cahier des charges technique est précis. Pour les U13, deux mi-temps de vingt-cinq minutes ; pour les U20, deux périodes de trente-cinq. Les finales verront ces durées allongées, comme pour signifier qu’au bout de l’effort se découvre la maturation comportementale recherchée.
Chaque équipe inscrit dans son règlement intérieur une charte de fair-play, lue à haute voix avant l’échauffement. Psychologues scolaires et éducateurs du Bataillon des sports militaires observent la posture des capitaines : voix posée, regard franc, engagement à exclure toute insulte ou intimidation envers arbitres et adversaires.
La mixité en débat
Si l’événement ambitionne d’être inclusif, la fiche d’inscription ne mentionne pas encore d’équipes féminines. Des voix se lèvent pourtant. « Les filles jouent aussi en quartier ; qu’attend-on ? » interroge Clarisse Moké, éducatrice bénévole. Elle voit dans le ballon rond un catalyseur d’estime de soi pour les adolescentes.
Le président du Club omnisports, Elo Dacy, répond prudemment : « Nous prévoyons une édition spécifique pour les jeunes filles d’ici la fin de l’année. » Annonce accueillie par des applaudissements, preuve que la société civile reste vigilante sur la question d’égalité et de représentation.
Voix des jeunes et des éducateurs
Au coin du vestiaire, Bertin, 17 ans, défenseur central, confie qu’il a rejoint son club après une convocation au commissariat pour bagarre. « Le coach m’a parlé de discipline, pas de punition », raconte-t-il, sourire timide. Depuis, ses bulletins scolaires affichent des moyennes stables, signe d’équilibre retrouvé.
Pour Mireille Okemba, sociologue du sport à l’Université Marien Ngouabi, « ces tournois fonctionnent comme des laboratoires de capital social. Les réseaux créés ici déplacent l’axe de loyauté des jeunes, du gang imaginaire vers l’équipe réelle ». Elle insiste cependant sur la nécessité d’un suivi au-delà des quatre jours.
Sécurité et inclusion féminine
L’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes, partenaire éditorial du présent article, salue l’initiative tout en réclamant la systématisation d’espaces sûrs pour les spectatrices. Des cellules d’écoute pourraient être installées dans les gradins, afin de repérer précocement risques de harcèlement ou de trafic.
Interrogé sur la faisabilité, le commandant Obami Itou assure que « la sécurité est globale » et que des policières formées au dispositif Tamanu seront déployées. Cette articulation entre prévention sportive et protection des femmes reflète, selon lui, la volonté présidentielle de construire une société apaisée.
Perspectives pour les quartiers
Le calendrier du bataillon des sports militaires annonce déjà des ateliers mixtes, animations de rue et distribution d’équipements dans Makélékélé et Talangaï. Objectif : prolonger la dynamique, occuper la période des vacances avancée. Les associations de mères de quartier ont proposé d’ouvrir leurs cours pour les séances matinales.
Au ministère de la Jeunesse, on évoque la création d’une base de données recensant les participants, afin d’orienter ceux qui le souhaitent vers l’apprentissage professionnel. La transversalité entre sport et formation illustre la stratégie gouvernementale d’employabilité, rappelée dans le Plan national de développement 2022-2026.
Un rôle pilote pour Ornano
Le stade Ornano, réhabilité en 2021, devient laboratoire de politiques publiques locales. Pelouse synthétique, vestiaires refaits, éclairage LED : des investissements visibles qui, combinés à la programmation régulière d’événements citoyens, créent un effet de halo positif sur le voisinage immédiat et son économie informelle.
Des commerçantes, souvent mères solo, vendent beignets et jus de gingembre aux abords. « Les matches attirent un public familial, nous écoulons le double de marchandises », témoigne Évelyne Ngatsé. L’activité générée conforte l’idée que sport et micro-entrepreneuriat féminin peuvent avancer main dans la main.
Vers une stratégie nationale
À l’issue des finales du 10 août, les trophées remis iront dans des vitrines scolaires plutôt que dans des bars. Le rituel achève un cycle vertueux : appropriation collective, visibilité des efforts, mémoire partagée. Dans les tribunes, parents et encadreurs auront surtout célébré l’horizon d’une jeunesse responsabilisée.
À moyen terme, les organisateurs envisagent d’étendre le modèle aux départements de la Sangha et du Niari. La cartographie des besoins est en cours, avec l’appui technique de l’UNICEF et des fédérations locales.