Des infox genrées en mutation rapide
La rumeur n’est plus un bruissement de marché, c’est un code informatique qui traverse Facebook en quelques secondes. Depuis trois ans, des campagnes hostiles ciblent la réputation de figures féminines congolaises, mêlant insinuations sexistes et montages vidéo trompeurs.
Si les auteurs demeurent souvent masqués, plusieurs enquêtes françaises et congolaises convergent : des officines étrangères testent leurs armes narratives sur les réseaux locaux, avant de les exporter vers d’autres scrutins africains. La souveraineté informationnelle s’impose désormais comme enjeu de sécurité.
Un agenda parlementaire motorisé par la sécurité informationnelle
C’est dans ce contexte que le groupe d’amitié Congo-France du Sénat, conduit par le sénateur Aristide Ngama Ngakosso, et l’ambassadrice de France Claire Bodonyi, ont officialisé en août un agenda de coopération technique centré sur la détection et la neutralisation des infox.
L’accord s’inscrit dans la feuille de route signée en 2024, qui ajoute au dialogue parlementaire classique un pilier consacré à la « sécurité informationnelle ». Objectif affiché : rendre le débat public plus lisible à l’approche de la présidentielle de mars 2026.
VIGINUM et CSLC : deux architectures complémentaires
La partie française mobilise VIGINUM, service créé en 2021 pour cartographier les ingérences numériques étrangères. Ses analystes croisent métadonnées, comptes inauthentiques et imagerie truquée, puis alertent les plateformes ou la justice lorsque des contenus malveillants franchissent le seuil pénal.
À Brazzaville, le Conseil supérieur de la liberté de communication pilote déjà l’observation des médias pendant les campagnes électorales. Ses cellules régionales seront doublées de points focaux mixtes associant administrateurs, magistrats et journalistes formés aux techniques de fact-checking.
Cibler les femmes, fragiliser les institutions
Interrogée, la politologue Mireille Madzou note que « la désinformation exploite des stéréotypes de genre, car l’indignation morale circule vite ». Selon elle, protéger la parole des femmes politiques constitue un indicateur avancé de la santé démocratique.
La condamnation en 2023 de deux influenceurs ayant prétendu que Brigitte Macron était un homme illustre la judiciarisation possible des infox genrées. Elle a valu aux faussaires six mois de sursis et une interdiction de gestion de site, créant un précédent observé à Brazzaville.
Au Congo, la diplomate Dr Françoise Joly a subi l’année dernière des rumeurs sexualisées affirmant qu’elle aurait obtenu des contrats grâce à des faveurs intimes. Aucune preuve n’est apparue, mais le récit a acquis plus de 800 000 vues en deux jours.
Réponses coordonnées avant la présidentielle 2026
Les deux cas éclairent la mécanique : cibler la crédibilité personnelle pour délégitimer ensuite les institutions qu’incarnent ces femmes. D’où la décision conjointe de créer un circuit de vérification en moins de six heures entre Paris et Brazzaville durant la période pré-électorale.
Techniquement, un tableau de bord partagé regroupera signaux faibles, cartographies de hashtags et premiers résultats d’attribution. Chaque alerte sera assortie d’un kit de réponse : communiqué, prise de parole télévisée ou démenti graphique, afin de couper l’audience aux récits toxiques.
Sur le terrain, des ateliers mixtes réuniront blogueuses, associations de mamans et développeurs. L’objectif est double : détecter tôt les contenus trompeurs circulant dans les groupes WhatsApp de quartier et proposer des contre-récits valorisant le rôle économique et civique des femmes.
Mobiliser société civile et pouvoirs publics
Le ministère congolais en charge des droits de la femme prévoit de certifier ces ateliers par un badge « vigilance numérique » utile lors des demandes de financement international. Selon la ministre Inès Ingani, « la crédibilité des animatrices conditionne l’efficacité des messages de prévention ».
La séquence électorale 2025-2026 représente un test de robustesse pour les institutions, mais aussi pour la société civile numérique. Les plateformes sociales ont été sollicitées afin de renforcer leurs équipes de modération francophones entre janvier et avril 2026.
Pour l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes, la future campagne doit éviter le piège de la peur. « Une opinion mal informée se tourne rarement vers le dialogue », avertit sa directrice, Sœur Cécile Bouanga, qui participera aux séances de sensibilisation.
Procédures, innovation et adaptation continue
La coopération franco-congolaise ouvre ainsi un front inédit, où juristes, data-scientists et militantes travaillent de concert. En s’appuyant sur des procédures claires plutôt que sur la réaction improvisée, elle ambitionne de faire de 2026 un scrutin apaisé et respectueux des voix féminines.
Reste que la bataille cognitive est mouvante. Deepfakes vocaux, images générées et publicités micro-ciblées exigeront des ajustements permanents. Les signataires de l’accord ont prévu une clause d’évaluation trimestrielle permettant de réviser outils et discours sans retarder la réponse opérationnelle.
À terme, cette expérience pourrait servir de modèle à d’autres pays de la sous-région, soucieux de préserver la participation des femmes dans l’espace public. La diplomatie numérique devient alors un vecteur concret d’égalité et de stabilité institutionnelle pour l’Afrique centrale.
Enfin, les radios communautaires, traditionnelles relais d’opinion en zone rurale, recevront un pack audio préenregistré expliquant la dangerosité des infox. Les messages, traduits en lingala, kituba et téké, insisteront sur le droit à l’information fiable de chaque citoyenne.