Plaques manquantes : un défi sécuritaire persistant
Dans l’imaginaire collectif, la plaque d’immatriculation garantit la traçabilité du véhicule. Sa disparition transforme la chaussée en zone d’anonymat propice aux débordements. À Brazzaville comme à Pointe-Noire, on observe un nombre croissant de « plaques fantômes » circulant à toute heure.
Les statistiques exactes manquent, mais les commissariats font état d’un lien récurrent entre absence d’immatriculation et délits violents. Loin d’être marginal, le phénomène touche aussi bien des voitures particulières que des véhicules officiels momentanément dépourvus de plaques pour des raisons techniques.
Les forces de l’ordre rappellent que tout conducteur identifié sans plaque encourt une immobilisation immédiate conformément aux articles 88 et 89 du code de la route. Des opérations ponctuelles ont déjà permis la mise en fourrière de dizaines de véhicules, preuve d’une vigilance institutionnelle constante.
Risques spécifiques pour les femmes dans l’espace public
La mobilité féminine reste un indicateur fiable de la vitalité urbaine. Or l’anonymat des plaques manquantes provoque un sentiment d’insécurité aigu chez les usagères, notamment aux abords des marchés et des arrêts de bus où les enlèvements sont les plus redoutés.
Marina, enseignante à Talangaï, confie : « À la tombée de la nuit, je refuse désormais toute voiture dont je ne peux lire la plaque. Cela limite mes options de transport et allonge mon trajet de retour d’au moins une heure. »
Certaines associations de quartier mettent en place des réseaux de covoiturage contrôlé afin de pallier ce déficit de confiance. Toutefois, ces initiatives demeurent embryonnaires et peinent à répondre à la demande croissante des étudiantes et des travailleuses nocturnes.
Les textes légaux et les opérations de contrôle
Le cadre juridique congolais est précis : l’immatriculation doit être visible et lisible, sans entrave décorative ni altération volontaire. La sanction peut atteindre 50 000 FCFA, assortie d’un retrait du permis en cas de récidive avérée.
Depuis janvier, la préfecture de police organise des contrôles éclair sur les axes densément fréquentés. Selon le commandant Mouanda, « l’objectif n’est pas de sanctionner massivement mais de rappeler que la route est un espace partagé où l’anonymat n’a pas sa place. »
Témoignages collectés par l’Observatoire
Notre cellule d’écoute a enregistré 37 récits d’agressions sur trois mois impliquant des véhicules sans plaque. La majorité des victimes sont des vendeuses informelles retournant à domicile après la fermeture des échoppes.
Parmi elles, Clarisse, 29 ans, raconte avoir été contrainte de monter dans une voiture à vitre teintée, sans signe distinctif. Son calvaire a pris fin grâce à l’intervention de riverains alertés par ses cris. L’enquête suit son cours, soulignant l’importance du signalement rapide.
Collaboration entre citoyens et forces de l’ordre
Les plateformes communautaires sur messagerie instantanée jouent un rôle clé dans le repérage des véhicules suspects. Des photographies, numéros partiels et descriptions sont partagés, permettant une réaction plus rapide des patrouilles.
Les autorités encouragent cette coopération, tout en rappelant de ne pas substituer la justice populaire aux procédures légales. « Signaler, oui ; intervenir sans cadre, non », insiste la direction générale de la sécurité publique, qui souhaite préserver la sérénité des quartiers.
Perspectives sociologiques et culturelles
La voiture non immatriculée incarne un rapport ambigu à la norme : transgression pour certains, simple négligence administrative pour d’autres. Le sociologue Félix Kinzonzi y voit « un symptôme de la tension entre modernité réglementée et pratiques informelles encore vivaces. »
Dans un contexte où la solidarité familiale prime, dénoncer un proche récalcitrant demeure délicat. Cette retenue culturelle ralentit parfois l’application de la loi, d’où l’importance de campagnes de sensibilisation adaptées aux réalités locales.
Le travail de proximité des ONG féminines, combiné aux sermons dominicaux et aux émissions radio communautaires, commence toutefois à modifier les représentations. L’idée que la plaque protège autant le conducteur que le piéton gagne progressivement du terrain.
Recommandations pour une mobilité plus sûre
L’Observatoire plaide pour l’extension des contrôles routiers aux heures creuses, période privilégiée des infractions invisibles. Un fonds d’aide à l’immatriculation pour les ménages modestes éviterait que la contrainte financière devienne prétexte à l’illégalité.
Il serait pertinent d’introduire une application mobile nationale permettant de vérifier en temps réel la conformité d’un véhicule. Un simple scan de la plaque offrirait aux usagers, et particulièrement aux femmes, un outil d’autoprotection efficace.
Enfin, la sensibilisation doit embrasser les écoles de conduite afin d’intégrer, dès la formation initiale, la notion de responsabilité collective. Une route sûre n’est pas l’affaire exclusive des forces de l’ordre ; elle résulte d’un pacte civique auquel chaque conducteur est appelé à adhérer.