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Vers un registre social plus inclusif

À Brazzaville, un atelier discret mais capital s’est tenu sous l’égide du ministère des Affaires sociales et du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Objectif annoncé : faire entrer les 60 000 réfugiés installés au Congo dans le registre social unique national.

L’annonce de Vladimir Yvon Liem, administrateur national du programme Unhcr, sonne comme un tournant. « Nous travaillerons à harmoniser les critères de vulnérabilité », a-t-il assuré, soulignant que l’inclusion conditionne l’accès aux filets sociaux financés par l’État et ses partenaires.

Le gouvernement souhaite disposer d’une base de données unique recensant ménages congolais précaires et personnes protégées. Une telle architecture, testée dans d’autres États d’Afrique centrale, facilite la planification budgétaire et évite la fragmentation d’interventions souvent jugées coûteuses par les bailleurs.

Des critères de vulnérabilité revisités

Pour être inscrits, les ménages doivent répondre à un ensemble d’indicateurs mesurant revenu, composition familiale, accès aux services essentiels et exposition aux chocs. Jusqu’ici, réfugiés et demandeurs d’asile n’entraient pas dans le périmètre, faute de grille adaptée à leur trajectoire migratoire.

Les experts réunis ont proposé d’ajouter la variable « statut juridique » et d’accorder une pondération supplémentaire aux femmes chefs de ménage, souvent surexposées aux violences et à l’insécurité alimentaire. Selon l’Institut national de la statistique, elles représenteraient près de 52 % du total.

« Un registre fiable ouvre l’accès à la cantine scolaire, à la couverture maladie universelle et aux transferts monétaires », rappelle Raphaël Akoli Ekolobongo, directeur des études au ministère. Dans la salle, plusieurs travailleuses sociales insistent sur l’impératif d’obtenir des données ventilées par sexe.

Femmes réfugiées : un enjeu de protection spécifique

Dans les sites de Betou ou de Kintele, les femmes réfugiées témoignent de contraintes spécifiques allant de la promiscuité à l’accès restreint à la terre cultivable. Nina, Centrafricaine, raconte que sa carte de ration ne couvre plus les besoins de ses quatre enfants depuis janvier.

L’inscription au registre social unique est perçue comme une planche de salut. Elle pourrait ouvrir le droit au programme Lisungi, dispositif de transferts conditionnels mis en place par le gouvernement, ou aux bourses scolaires que le ministère de l’Enseignement primaire réserve aux ménages très pauvres.

Les organisations de défense des femmes saluent la démarche tout en réclamant un suivi rigoureux. « Sans budget sensible au genre, l’exercice restera théorique », prévient Mireille Ngoma, sociologue à l’Université Marien Ngouabi. Elle souligne l’importance d’impliquer les associations féminines dans la phase de vérification biologique.

Un précédent projet pilote mené en 2022 à Brazzaville avait montré qu’une communication ciblée augmente la déclaration des violences basées sur le genre de 35 %. Les partenaires entendent capitaliser sur ces données pour ajuster le protocole d’enregistrement, notamment la confidentialité des entretiens.

Coopération institutionnelle et société civile

La réussite du chantier repose sur une chaîne d’acteurs. Le ministère des Finances doit sécuriser la ligne budgétaire, tandis que la Caisse nationale de sécurité sociale est attendue pour héberger les serveurs. Les ONG locales apporteront la sensibilisation communautaire, souvent décisive pour convaincre les ménages.

Les services déconcentrés seront formés à l’utilisation de tablettes pour la collecte en temps réel. « La technologie réduit les fraudes et accélère l’analyse », rappelle un ingénieur de l’Institut de la statistique. Toutefois, la stabilité électrique dans les zones rurales demeure une préoccupation.

Sur le plan diplomatique, l’initiative s’insère dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui prône la protection des populations déplacées. Brazzaville y voit un signal positif pour sa candidature au Conseil des droits de l’homme en 2025, confie un représentant du ministère des Affaires étrangères.

Attentes et perspectives pour 2024

Les premiers enrôlements sont prévus au quatrième trimestre 2023 dans les départements de Likouala et Plateaux, avant un déploiement national en 2024. Les bailleurs, Banque mondiale en tête, ont déjà validé un financement additionnel de 20 millions de dollars pour la phase d’expansion.

La question de la durabilité se pose. Les techniciens plaident pour une révision annuelle des données afin de suivre l’évolution des foyers. Un protocole de sortie est également envisagé : les ménages autonomisés quitteront le registre pour faire place à de nouveaux cas.

En attendant, la société civile féminine promet de rester vigilante. Elle réclame la publication régulière d’indicateurs sexués et la mise en place d’une ligne verte pour signaler toute dérive. Car, souligne un responsable de l’Observatoire congolais des violences faites aux femmes, « la donnée protège ».

Suivi et transparence des données

La plateforme numérique envisagée permettra aux citoyens de vérifier en ligne leur statut. Un tableau de bord public, actualisé chaque trimestre, offrira des statistiques sur la répartition par sexe, âge et lieu de résidence. Cette transparence est jugée cruciale pour renforcer la confiance collective.

À terme, les autorités souhaitent connecter le registre social aux registres d’état civil afin de prévenir les doubles identités. Cette interopérabilité ouvrirait la voie à une politique sociale plus fine, capable de cibler les femmes enceintes sans couverture santé ou les adolescentes déscolarisées.