Noki-Noki, symbole d’une jeunesse ambitieuse
En 2020, l’apparition de Noki-Noki a incarné l’élan entrepreneurial d’une génération congolaise avide d’innovation. Deux motos seulement suffisaient alors à Jonathan Yanghat pour promettre des livraisons rapides, un modèle inspiré des hubs de Lagos ou Nairobi, mais adapté aux ruelles de Brazzaville.
La jeune pousse se targuait d’avoir levé près de deux millions de dollars en capital-risque. Conférences, portraits médiatiques et hashtags enthousiastes ont façonné une narration où réussite technologique rimait avec souveraineté économique. Dans les talk-shows, l’entreprise était citée comme la preuve que « tout est possible » au Congo-Brazzaville.
Un détournement révélé par l’enquête interne
En août 2025, la trajectoire s’interrompt brutalement. Les services de conformité de BGFI Bank remontent une série d’ordres suspects. Les enquêteurs identifient Ferida Mbonzo, employée de la banque et compagne du fondateur, comme pivot d’un transfert d’environ un milliard de francs CFA depuis des comptes clients.
La somme, fragmentée par de multiples virements, aurait financé l’expansion de Noki-Noki au Cameroun, en Côte d’Ivoire et en RDC. Les mis en cause sont placés en détention provisoire à Brazzaville. L’assistante personnelle de Yanghat est également entendue, son rôle restant à déterminer.
BGFI Bank défend sa gouvernance
Le 30 août 2025, la direction générale publie un communiqué affirmant que « les faits sont strictement individuels ». L’institution insiste sur la responsabilité pénale exclusive de l’employée, rappelant qu’aucun système financier n’est entièrement immunisé contre la déviance humaine, fût-elle interne.
La note officiel-le souligne que Jean-Dominique Okemba, président du Conseil d’administration, « n’a jamais manqué à ses obligations ». Sa longévité est décrite comme un gage de stabilité. BGFI Bank revendique une solidité réglementaire et promet une coopération totale avec la justice, dans « la transparence la plus absolue ».
Impact sociologique sur la confiance bancaire
Les sciences sociales rappellent que la crédibilité bancaire repose d’abord sur la confiance, cette « institution invisible » décrite par Simmel. Un événement frauduleux, même isolé, peut fragiliser la perception collective de sécurité, surtout dans des économies où l’intermédiation financière demeure en construction.
Dans les quartiers populaires de Brazzaville, plusieurs commerçantes interrogées évoquent une inquiétude modérée. « Je garde mon compte, mais je surveille mon solde chaque soir », confie Mireille, détaillante au marché Total. Ce réflexe de vigilance traduit moins un rejet qu’un ajustement rationnel au risque perçu.
Le genre au cœur de l’affaire
La présence de Ferida Mbonzo dans la ligne de mire judiciaire soulève une question délicate : comment analyser la responsabilité individuelle sans stigmatiser les carrières féminines en banque ? Les données internes du secteur montrent pourtant que moins de 25 % des cadres supérieurs sont des femmes.
Pour Marie-Noëlle Moutima, sociologue du travail, « le scandale ne doit pas devenir un prétexte pour ralentir la féminisation. L’enjeu est de renforcer les procédures de contrôle, non de reconduire les stéréotypes sur la fiabilité ». Son propos rejoint la mission de l’Observatoire, qui veille à protéger les droits économiques des femmes.
Conséquences économiques et sociales
À court terme, l’impact financier direct se concentre sur BGFI Bank, qui s’est engagée à indemniser intégralement les victimes. À moyen terme, l’épisode pourrait encourager l’accélération des audits indépendants et la digitalisation des alertes anti-fraude, deux chantiers déjà amorcés par la Banque centrale.
Pour le tissu entrepreneurial féminin, la crainte d’un durcissement des critères de financement est palpable. « Les bailleurs risquent de raffermir leurs seuils de diligence », explique une conseillère en microfinance. Le défi sera d’équilibrer rigueur et inclusion, sous peine de freiner des initiatives dirigées par des femmes.
Perspectives pour l’inclusion financière
Le gouvernement mise depuis 2019 sur un plan national d’inclusion financière qui ambitionne d’atteindre 60 % de bancarisation féminine en 2030. L’affaire Noki-Noki rappelle que l’infrastructure de confiance sera décisive pour tenir cet objectif sans créer de zones d’ombre.
BGFI Bank annonce la mise en place d’ateliers de sensibilisation destinés à ses 1 200 collaboratrices et collaborateurs. Les modules couvriront l’éthique, la protection des données et la lutte contre les conflits d’intérêts. Cette démarche pédagogique pourrait devenir un standard sectoriel et contribuer à restaurer la crédibilité de la place financière congolaise.
Vers une culture renforcée de la conformité
L’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes plaide pour une transparence accrue. Ses experts estiment que les scandales économiques, même sans composante physique, constituent des violences structurelles lorsqu’ils compromettent la stabilité des ménages dirigés par des femmes.
Instaurer une culture de conformité implique un maillage précis : formation continue, canaux de signalement anonymes, audit participatif et sanctions proportionnelles. Selon un responsable de la profession bancaire, « la confiance ne se décrète pas, elle se construit pas à pas ». Les prochains mois diront si cet adage se vérifie.