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Diplomatie et mémoire historique

Au départ discret, le voyage du président Denis Sassou N’Guesso à Beijing, invité par son homologue Xi Jinping aux commémorations du 80e anniversaire de la victoire chinoise contre l’agression japonaise, ouvre un chapitre diplomatique aux répercussions inattendues pour les Congolaises.

La proximité entre Brazzaville et Beijing, consolidée depuis plus de soixante ans, s’inscrit désormais dans un partenariat stratégique global où la dimension genre, longtemps périphérique, commence à s’affirmer grâce au Forum sur la Coopération sino-africaine que le Congo copréside.

Une coopération stratégique de 61 ans

Dans l’agenda officiel, le chef de l’État assistera au défilé militaire prévu le 3 septembre sur la place Tian’anmen; mais en marge, plusieurs rencontres économiques visent à accélérer les projets du Plan national de développement 2022-2026, dont plusieurs volets ciblent l’entrepreneuriat féminin.

Le ministère congolais de la Promotion de la femme espère, selon un conseiller rencontré avant le départ de la délégation, « négocier des lignes de crédit préférentielles pour les coopératives agricoles tenues par des femmes dans la Cuvette et le Niari ».

Depuis 2016, date de l’élévation des relations bilatérales au rang stratégique, plusieurs infrastructures – centrales hydroélectriques, hôpitaux, zones industrielles – ont été codéveloppées avec la Chine; leur impact direct sur la vie des femmes reste cependant inégal selon les provinces.

Priorités du PND 2022-2026

À Brazzaville, l’économiste Rachel Mabiala note que l’électrification de certains quartiers « a permis à de nombreuses vendeuses de poisson fumé d’étendre leurs horaires », mais souligne aussi l’absence de statistiques genrées dans l’évaluation des projets financés par Beijing.

Cette lacune, souvent signalée par les ONG féminines, pourrait être comblée par un protocole négocié entre le ministère du Plan et l’Académie chinoise des sciences sociales pour un suivi d’impact réellement genré.

Sur le plan multilatéral, la coprésidence congolaise du Forum sino-africain a déjà permis, lors de la session ministérielle de 2023 à Beijing, l’adoption d’un paragraphe spécifique consacré à la protection des femmes et des filles dans les couloirs économiques transnationaux.

La dimension genre s’affirme

L’accord encourage notamment la création de centres d’accueil pour migrantes travailleuses, un enjeu crucial alors que les chantiers menés par des consortiums chinois recrutent de plus en plus de main-d’œuvre féminine congolaise, parfois exposée à des risques de harcèlement.

Pour Marie-Thérèse Gambou, secrétaire générale de l’Observatoire, « la coopération sino-congolaise doit bâtir des passerelles sociales autant que des ponts de béton ».

Dans ce contexte, l’axe Brazzaville-Beijing pourrait soutenir la réalisation du Projet intégré de centres polyvalents pour femmes rurales, inscrit dans le PND, à travers un financement mixte prêt-don et un transfert de technologies solaires adaptées aux zones forestières.

Témoignages et initiatives

Le cabinet du président confirme qu’une session de travail est prévue avec la Banque d’import-export de Chine, où seront défendus des dossiers relatifs à l’accès des PME féminines au e-commerce transfrontalier, notamment via la plateforme numérique Afreximbank-China Pilot Zone.

Pour la sociologue Justine Ngoma, cette orientation vers le numérique « répond à la mobilité restreinte de nombreuses femmes et à la nécessité de sécuriser les paiements ». Elle plaide pour un accompagnement en alphabétisation financière afin d’éviter un accroissement des inégalités numériques.

À Beijing, le président congolais devrait également visiter le centre d’incubation Zhongguancun, où un memoranda d’entente sur l’échange de start-ups à impact social est envisagé; les lauréates du concours national Mwana-Mboka pourraient bénéficier d’un stage d’immersion.

Coordination nationale cruciale

Les analystes rappellent que l’efficacité de ces initiatives dépendra de la coordination interministérielle à Brazzaville, souvent point faible des projets de coopération. Le ministère du Commerce annonce la création d’une cellule genre pour centraliser le suivi des engagements pris en Chine.

Sur le terrain, les attentes sont palpables. À Madingou, Clarisse Yoka, agricultrice, espère « un accès à de petites machines motrices pour transformer le manioc », tandis qu’à Pointe-Noire, des pêcheuses artisanales souhaitent des chambres froides alimentées par énergie solaire.

Le succès de la visite sera donc jugé moins sur les discours que sur la concrétisation de micro-projets visibles pour les communautés féminines. Un calendrier d’exécution rapide, aligné sur le budget 2024, serait un signal politique fort d’engagement en faveur de l’égalité.

Suivi citoyen et avenir

À ce stade, aucun observateur n’anticipe de signature d’accords sensibles, un choix prudent qui protège la discrétion des négociations. Les délégations techniques poursuivront le travail après la cérémonie, reflétant une méthode graduelle privilégiée par les deux capitales.

Pour les organisations de femmes, la séquence chinoise constitue une opportunité mais aussi un test de crédibilité. La mobilisation citoyenne s’annonce vive sur les réseaux sociaux. Les rapports d’étape que le gouvernement publiera d’ici fin décembre seront scrutés pour mesurer, au-delà des symboles, les retombées réelles sur la vie quotidienne.

En attendant, l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes mettra en ligne une plateforme participative où chaque bénéficiaire potentielle pourra signaler ses besoins et partager son expérience, un outil pilote qui devrait alimenter les futures évaluations d’impact.