Une distinction nationale porteuse de symbole
Le 15 août, lors du 65e anniversaire de l’indépendance, la slameuse Mariusca Moukengue a reçu des mains du président Denis Sassou Nguesso l’insigne de chevalière de l’Ordre national du Mérite.
La distinction récompense un parcours où les métaphores se muent en mobilisation citoyenne et place, pour la première fois, une artiste slam au cœur de la politique culturelle congolaise.
Au-delà de l’éclat protocolaire, l’évènement rappelle que la reconnaissance institutionnelle peut soutenir l’émergence d’une génération de créatrices déterminées à occuper l’espace public par la puissance du verbe.
Itinéraire d’une voix qui polit la langue du quotidien
Née à Pointe-Noire, Mariusca découvre le slam à l’adolescence, quand les scènes ouvertes deviennent des laboratoires sociaux où elle expérimente un français métissé de langues vernaculaires.
Les premiers textes évoquent les coupures d’électricité, la débrouille urbaine, le rire comme stratégie de survie ; très vite, la jeune femme comprend que sa diction peut devenir plaidoyer.
Elle fonde l’association Traces en 2016 pour former des collégiens à l’écriture performée, réinterprétant l’éducation populaire à l’ère du numérique et de la vidéo partagée.
Le slam outil d’autonomisation des jeunes femmes
Sur scène, le corps de la slameuse échappe aux stéréotypes et propose une image de la féminité hors des canons médiatiques, démontrant que la parole poétique peut aussi redistribuer le pouvoir symbolique.
« Cette décoration est une reconnaissance de la nation », rappelle-t-elle, insistant sur la responsabilité collective d’accompagner les initiatives féminines dans la culture et l’entrepreneuriat.
L’Observatoire note que l’accès à l’espace scénique reste encore fragile pour de nombreuses créatrices, faute de financements et de réseaux ; le parcours de Mariusca pourrait servir de catalyseur pour des politiques de mentorat ciblées.
Jeunesse congolaise miroir des espérances sociales
Le public de slam, majoritairement jeune, cherche dans les vers de Moukengue un miroir de ses préoccupations : emploi, environnement urbain, paix inter-quartiers.
Dans sa vision, le travail artistique n’est pas dissocié de l’éthique du quotidien ; elle parle d’“une jeunesse travailleuse et déterminée” que la reconnaissance officielle vient légitimer dans son désir d’agir.”
Cette articulation entre art et civisme rejoint les objectifs de l’Agenda 2030 sur l’autonomisation des femmes et des filles, que le Congo entend matérialiser par des programmes éducatifs.
Au-delà des frontières la diplomatie culturelle congolaise
Avec son projet de concert à Paris le 29 novembre et la cinquième édition du festival international Slamouv, la poète assume une fonction d’ambassadrice de la création congolaise.
L’enjeu dépasse la seule valorisation esthétique : il s’agit d’inscrire la voix congolaise dans les circulations globales, de renforcer l’attractivité touristique et d’ouvrir des débouchés commerciaux aux industries culturelles locales.
Le ministère de la Culture évoque déjà la possibilité d’accompagner le festival par un mécanisme de mobilité régionale que l’Union africaine pourrait soutenir.
Politiques publiques société civile et synergie d’action
La distinction de Moukengue intervient dans un contexte où les autorités multiplient les initiatives pour dynamiser l’économie créative, considérée comme un levier d’emploi féminin et de cohésion nationale.
Des partenariats public-privé se dessinent pour soutenir la production, tandis que la société civile réclame des fonds dédiés aux artistes indépendantes, souvent confrontées à l’autoproduction.
Selon une étude de l’Observatoire, chaque million de francs CFA investi dans le secteur slam génère trois emplois directs, argument qui plaide pour une formalisation accrue.
Regards d’avenir sur la scène artistique
Interrogée sur ses rêves, l’artiste refuse de dévoiler tous ses projets, mais assure que “d’autres surprises vibrantes” sont en gestation, illustrant la créativité foisonnante qui anime la scène congolaise.
Pour les féministes locales, ce moment constitue un appel à consolider les places obtenues : il ne suffit pas d’être décorée, encore faut-il que les conditions structurelles permettent à toutes d’accéder aux mêmes ressources.
Le parcours de Mariusca invite donc à conjuguer reconnaissance symbolique, soutien financier et éducation artistique, afin que la rime se traduise durablement en opportunités socio-économiques pour les femmes congolaises.
Impact local et retombées socio-économiques
À Moungali et Tié-Tié, quartiers où ses ateliers itinérants ont été testés, de jeunes participantes disent avoir repris confiance grâce à l’écriture collective, outil thérapeutique face aux violences de genre.
Mélanie, 19 ans, témoigne : « Écrire m’a permis de nommer la peur et de demander de l’aide ». Ces récits confirment les conclusions de l’UNESCO sur le rôle des arts verbaux dans la résilience communautaire.
Selon les données compilées par l’association Traces, six lycéennes sur dix ayant participé aux ateliers poursuivent désormais des études supérieures, un indicateur encourageant pour les politiques d’égalité des chances.
Recommandations pour amplifier cet élan
L’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes préconise l’instauration d’un fonds de soutien spécifique aux arts de la parole, doté d’au moins 100 millions de francs CFA par an.
Il suggère aussi d’intégrer des modules de slam dans les programmes scolaires, afin de renforcer les compétences orales et la sensibilisation aux droits humains dès le collège.
Enfin, un partenariat tripartite entre ministère, collectivités et plateformes privées favoriserait la diffusion numérique, indispensable à l’inclusion des communautés rurales et diasporiques.
Ces recommandations visent à pérenniser l’exemplarité de ce parcours et à structurer un écosystème créatif durable.