Brazzaville, tête de pont du Plan Mattei
Brazzaville vient d’endosser un rôle pilote dans la mise en œuvre du Plan Mattei, vaste dispositif italien de coopération technologique. Pour les observateurs, cette désignation traduit la confiance portée à l’expertise numérique congolaise émergente.
L’ambassadeur d’Italie, Enrico Nunziata, l’a rappelé le 22 juillet, aux côtés du ministre Léon Juste Ibombo: l’initiative vise à soutenir jusqu’à cinq cent mille jeunes entreprises africaines, dont celles dirigées par des femmes.
La feuille de route conjointe, signée à Rome le 19 juin, couvre l’éducation, la santé, le climat et l’agriculture de précision, mais place le numérique au centre, comme levier de diversification économique inclusive.
Pour Brazzaville, l’enjeu dépasse la technologie: il s’agit de structurer un tissu entrepreneurial capable d’absorber les compétences locales, d’attirer les capitaux régionaux et de réduire les inégalités, notamment de genre.
Jeunes pousses et équité de genre
Sur les 458 start-up recensées par l’Agence nationale du numérique, moins d’un tiers ont été fondées ou cofondées par des femmes, selon les chiffres communiqués lors du Salon OSIANE 2024.
Le Plan Mattei ambitionne de porter ce ratio à 40 % d’ici 2028 grâce à des fonds d’amorçage spécifiquement réservés aux innovatrices congolaises et à un accompagnement juridique facilité.
« Dans la finance, la barrière psychologique demeure plus forte que l’obstacle réglementaire », observe la sociologue Nadia Ngatsé, qui salue l’arrivée d’un mécanisme de garantie partagée entre la Caisse congolaise d’épargne et la Banque italienne de développement.
Au-delà du financement, l’accès aux marchés publics reste crucial. Les ministères sectoriels promettent de réserver 15 % des appels d’offres numériques aux PME dirigées par des femmes afin de créer un précédent institutionnel.
Accès aux financements: le défi congolais
En 2023, les start-up congolaises n’ont capté que 0,3 % des 6,5 milliards de dollars investis sur le continent, loin derrière Lagos ou Le Caire, confirme le cabinet Partech Africa.
La fragmentation du marché, la taille réduite des tickets d’investissement et la perception de risque politique expliquent en partie ce retard, même si l’environnement est jugé stable par les agences de notation régionales.
Le programme pilote introduit un fonds de co-investissement de 50 millions d’euros, abondé par la coopération italienne et des partenaires privés, avec un quota minimum de 35 % pour les projets portés par des femmes.
Cette logique de partage des risques pourrait inspirer les banques locales, souvent frileuses face aux modèles économiques numériques jugés trop disruptifs pour les cahiers de charge classiques.
Formation numérique: un tremplin pour les femmes
Le Plan Mattei prévoit la création d’un Campus d’innovation à Kintélé, adossé à l’Université Denis Sassou Nguesso, capable d’accueillir 1 500 apprenants par promotion.
Un quart des bourses sera réservé aux victimes de violences basées sur le genre, afin de lier autonomisation économique et reconstruction psycho-sociale, stipule le protocole d’accord signé avec l’Unfpa.
Des modules spécifiques, portant sur la cybersécurité, l’analyse de données de santé ou l’agritech, seront co-conçus par des professeures de l’École polytechnique de Milan et des universitaires congolaises.
« Le numérique peut devenir un vecteur de dignité pour les survivantes », estime Mireille Samba, directrice de l’Observatoire national congolais des violences faites aux femmes, soulignant la nécessité d’un suivi psychosocial parallèle.
Vers un écosystème inclusif et résilient
La stratégie ministérielle mise sur la coopération sud-sud: les incubateurs de Kigali et de Tunis partageront leurs plateformes d’e-learning avec les entrepreneurs congolais, réduisant le coût d’acquisition des connaissances.
Une cartographie des besoins en compétences, réalisée en partenariat avec la Banque mondiale, identifie déjà 3 800 postes qui pourraient être créés dans la santé numérique d’ici cinq ans.
Pour favoriser la résilience, le programme intègre un volet climat: les start-up devront afficher une empreinte carbone 20 % inférieure pour accéder aux subventions.
Les collectivités locales disposeront d’outils open data pour mesurer l’impact environnemental, renforçant la transparence voulue par les bailleurs.
Perspectives socio-économiques locales
Le Centre de recherches économiques de Brazzaville estime que 5 000 emplois directs pourraient surgir d’ici 2026, dont 60 % occupés par des jeunes de moins de 30 ans et 45 % par des femmes.
Les analystes soulignent toutefois la nécessité de simplifier davantage les procédures d’immatriculation des sociétés, encore perçues comme lourdes malgré la digitalisation du Guichet unique.
L’Agence de régulation des postes et des communications électroniques envisage de réduire de moitié le coût de la licence d’opérateur de services fintech pour les jeunes pousses, mesure attendue depuis 2022 par l’écosystème.
Si ces réformes aboutissent, Brazzaville pourrait devenir un hub régional où l’innovation technologique sert aussi la justice économique et l’autonomisation des femmes, socle d’un développement durable inclusif.
Témoignages de terrain
Marina Bissiala, 26 ans, fondatrice d’une application de télésanté, affirme qu’un prêt de 10 000 euros suffirait à déployer son service dans les districts ruraux du Pool, actuellement dépourvus de médecins.
De son côté, l’investisseur italien Marco D’Amico voit dans le marché congolais « un laboratoire d’innovation frugale capable d’essaimer ailleurs », à condition de garantir une connectivité stable hors des grands centres urbains.