Une élection mondiale sous tension
La décision de Gabriela Ramos de retirer sa candidature à la direction générale de l’Unesco a rebattu les cartes. Il ne reste plus que l’Égyptien Khaled Ahmed El-Enany et le Congolais Firmin Édouard Matoko, dont la confrontation anime les 58 membres du Conseil exécutif.
Le vote prévu début octobre déterminera quel finaliste sera proposé à la Conférence générale de novembre, rassemblant 194 États. Ce calendrier serré attise les négociations, tandis que chaque capitale évalue l’impact géopolitique, financier et symbolique d’un choix qui peut redéfinir l’agence.
Le profil de Firmin Édouard Matoko
Ancien directeur adjoint pour la priorité Afrique puis sous-directeur général chargé de l’éducation, Firmin Édouard Matoko détient une connaissance interne rare de l’organisation. Ses vingt-neuf années de service à Paris et sur le terrain font de lui un candidat perçu comme immédiatement opérationnel.
Dans ses interventions récentes, il insiste sur la consolidation des programmes d’alphabétisation, la promotion du multilinguisme numérique et la protection du patrimoine immatériel. Il affirme vouloir « placer les femmes et les jeunes au cœur de chaque action pour rendre l’Unesco plus proche des communautés ».
Le parcours de Khaled Ahmed El-Enany
Ancien ministre égyptien du tourisme et des antiquités, Khaled Ahmed El-Enany a piloté de grands projets de restauration, dont l’ouverture du Grand Musée du Caire. Son profil d’archéologue reconnu séduit les partisans d’une Unesco centrée sur la conservation du patrimoine matériel.
Lancé il y a trois ans, son tour du monde diplomatique lui a permis d’obtenir plusieurs engagements publics, notamment de pays du Golfe. Toutefois, plusieurs délégations s’interrogent aujourd’hui sur la capacité d’une campagne si longue à renouveler son discours face aux urgences éducatives.
Le poids des groupes électoraux
Le Conseil exécutif répartit ses 58 membres en six groupes régionaux. Le groupe africain, fort de seize voix, se montre souvent solidaire. En obtenant l’investiture de l’Union africaine, Brazzaville s’assure d’un socle de départ précieux, même si l’appui n’est jamais absolument monolithique.
Face à lui, Khaled Ahmed El-Enany bénéficie du soutien traditionnel des pays arabes, répartis dans deux groupes distincts. Les diplomates observent que les capitales latino-américaines, longtemps courtisées par le Mexique, deviennent désormais l’arbitre potentiel et pourraient rééquilibrer le duel au dernier moment.
L’enjeu pour l’Afrique et les femmes
La possible nomination d’un Africain dix ans après le mandat de Bokova serait saluée comme un signal fort de représentativité. Pour de nombreuses organisations féministes continentales, la priorité sera d’obtenir des avancées tangibles sur l’éducation des filles et la lutte contre les violences.
Firmin Édouard Matoko rappelle qu’il a supervisé le programme « Priorité Afrique », qui cible directement l’autonomisation des femmes rurales. Il promet de renforcer la collaboration avec l’Unicef et ONU-Femmes afin de diffuser une culture d’égalité dans chaque bureau régional, en s’appuyant sur des données fiables.
Du côté égyptien, la valorisation du patrimoine est présentée comme un levier d’inclusion économique pour les artisanes locales. Le candidat insiste sur les formations professionnelles destinées aux jeunes femmes dans les métiers de la restauration, arguant qu’une Unesco renforcée peut accroître leurs perspectives d’emploi.
La stratégie diplomatique congolaise
Soutenue par le président Denis Sassou Nguesso, la diplomatie congolaise a mobilisé ses ambassades sur cinq continents. Entretiens bilatéraux, lettres de soutien et webinaires thématiques se succèdent pour mettre en avant l’expérience multilingue et la capacité d’écoute de son candidat.
Les observateurs notent que Brazzaville évite toute critique frontale de son rival, préférant se positionner sur les convergences possibles. Cette approche calme, qualifiée de « diplomatie persuasive » par un ancien représentant permanent, viserait à rassurer les États hésitants sur la stabilité future de l’agence.
Vers une Unesco plus inclusive
Au-delà du duel, les États membres s’interrogent sur la capacité du futur directeur général à réconcilier les débats budgétaires et les demandes de terrain. Les sinistres climatiques, les inégalités numériques et la persistance des mariages précoces placent l’éducation des filles au rang d’urgence absolue.
Un diplomate caribéen résume le dilemme : « Nous voulons un chef qui parle patrimoine sans oublier la salle de classe ». Les programmes UNESCO des cinq prochaines années seront scrutés pour mesurer l’intégration transversale de la parité, du climat et de la culture numérique.
Dans ce contexte, le vote d’octobre devient un indicateur des attentes d’un multilatéralisme rénové. L’éventuelle ascension de Firmin Édouard Matoko serait interprétée comme la confirmation d’une demande de gouvernance plus équilibrée, ouverte aux réalités africaines et attentive aux voix féminines trop souvent marginalisées.
Quelle que soit l’issue, l’Observatoire invite les organisations congolaises de défense des femmes à suivre de près le processus et à préparer des propositions concrètes. Car la meilleure victoire ne réside pas seulement dans le passeport du dirigeant, mais dans les politiques qu’il soutiendra durablement.
La Conférence générale de novembre, accueillie à Samarcande, consacrera le futur directeur général. Elle décidera aussi du budget 2026-2029, un cadre clé pour financer les initiatives de lutte contre les mutilations génitales féminines et l’accès des filles aux sciences.